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tion de novembre « contraire aux engagemens de la cour du Danemark, » et demandait « qu’elle fût rapportée !… » — « C’est le désir du gouvernement de sa majesté, ajoutait l’imperturbable conseiller, que cela soit fait de la manière qui conviendra le plus à la dignité et au caractère du Danemark comme nation libre et indépendante ! » Trois jours après, il expédiait une dépêche électrique pour Copenhague, annonçant « que le rappel de la constitution était indispensable. » Cette fois il ne fut pas même fait mention de « la dignité et du caractère : » c’était sans doute la faute du laconisme obligé du télégraphe. Lord Wodehouse entreprit courageusement une œuvre aussi difficile ; il ne demandait pas mieux que d’y réussir, « de mettre fin (put an end) à la constitution, » ainsi qu’il s’exprimait avec une aisance toute cavalière dans une de ses dépêches ; mais il devait rencontrer une résistance opiniâtre, — et c’est ici, dans la correspondance des deux agens britanniques, qu’il faut se donner le spectacle d’un poignant débat entre le client si constamment sacrifié et le superbe protecteur si ardent toujours à prêcher « l’immolation de soi-même[1]… »

Certes, disaient, les ministres de Christian IX, le Danemark a donné des preuves assez nombreuses de sa déférence pour les conseils du cabinet de Saint-James : il a répondu humblement à une sommation hautaine du Bund, révoqué la patente du 30 mars, subi une exécution fédérale injustifiable, évacué le Holstein sans coup férir. Aujourd’hui on lui demande d’abolir sa loi fondamentale, de briser le seul lien qui unit un peuple cruellement éprouvé à un souverain nouveau, peu connu ou méconnu dans le pays, et dont lord Russell lui-même, dans ses missives aux diverses puissances, exalte si inconsidérément les « sympathies germaniques ! » Aux angoisses de l’invasion étrangère, on nous propose ainsi d’ajouter la tourmente des bouleversemens intérieurs ! Du reste, cette concession, accordée aux Allemands, est-on bien sûr de n’avoir pas à en faire d’autres encore, et le contraire plutôt n’est-il pas avéré dès à présent ? Le plus digne, le plus politique aussi ne serait-il point dès lors de prendre une forte position dans le Slesvig et d’accepter la lutte, devenue inévitable ? Ne pourrait-on même pas se reprocher d’avoir attendu jusque-là, d’avoir laissé venir l’hiver, car n’était-ce pas sur la saison des glaces que les Allemands avaient compté dès l’origine, et au su de tout le monde, pour mettre complètement hors de combat ; la seule force sérieuse que le Danemark pût leur opposer, sa marine ?…

Les agens britanniques ne surent trop que répliquer à une ar-

  1. Self-immolation, le mot est de sir A. Buchanan (dépêche du 5 janvier 1864). Pour le résumé qui suit, voyez les dépêches de lord Wodehouse et sir A. Paget (21, 22 et 24 décembre 1863).