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jamais confondre les deux expressions[1] ! De temps en temps, lord Russell se tournait aussi du côté de la France et invitait le comte Cowley à « communiquer » à M. Drouyn fie Lhuys telle de ses missives qu’il destinait pour Copenhague, pour Berlin, pour Francfort ou pour Dresde. M. Drouyn de Lhuys lisait tout « attentivement, » prononçait un sempre bene, mais ne montrait nulle velléité de suivre de si beaux exemples d’éloquence. En dernier lieu, le principal secrétaire d’état s’attachait avec ardeur à une proposition venue soudain de Saint-Pétersbourg. Vers la fin de novembre 1863, le prince Gortchakov suggéra tout à coup l’idée d’une mission spéciale à Copenhague, qui, sous le prétexte de complimenter le roi Christian IX de son accession, rechercherait les moyens d’un arrangement possible ; Certes l’inspiration était pour le moins singulière : en bonne logique, c’était plutôt sur Berlin qu’il eût fallu diriger les pacificateurs, et Là Fontaine a négligé ce trait d’une ambassade envoyée par les lions et les aigles pour persuader à l’agneau de ne pas troubler la boisson du loup. Quoi qu’il en soit, la France ne se refusa point à la tentative, et le général Fleury fut désigné pour être le collègue du conseiller d’état russe M. d’Ewers dans cette mission au roi Christian. Le cabinet de Saint-James choisit pour son représentant lord Wodehouse, jeune diplomate plein d’espérance qui, avant de partir, avait prononcé dans le parlement un discours chaleureux en faveur du Danemark ; et devait pour cela même être d’autant mieux écouté à Copenhague.

Il faut bien le reconnaître en effet, le cabinet de Saint-James avait été jusque-là beaucoup plus heureux dans ses négociations avec le « violent » parti de l’Eider qu’avec M. de Bismark, dont le prince Gortchakov avait pourtant loué les « vues modérées… » Il va sans dire que le gouvernement de Copenhague s’était empressé d’accepter dès l’origine (le jour même de l’offre, le 20 novembre) la médiation britannique, que l’Allemagne s’obstinait à repousser ; M. Hall avait seulement à cette occasion hasardé une remarque, demandant s’il ne vaudrait pas mieux réserver la question des duchés au congrès européen que la France venait de proposer, ou à une conférence spéciale des puissances signataires du traité de Londres. Le ministre britannique remercia (30 novembre) le Danemark de son acquiescement à la médiation proposée ; quant à la remarque concernant le congrès, on répondit sèchement « que le gouvernement de la reine n’avait point accepté l’invitation de l’empereur des Français : » L’offre de médiation n’ayant produit aucun effet sur l’Allemagne, le chef du foreign office eut hâte (25 novembre) d’émettre

  1. Voyez la dépêche à sir A. Malet du 14 décembre 1863, sur laquelle M. Disraeli a si agréablement plaisanté le comte Russell pendant la grande discussion du vote of censure (4 juillet 1864).