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stein. Dans leur premier élan pour le jeune et vaillant champion « du droit et de l’honneur allemand, » les patriotes teutons voulurent bien lui pardonner jusqu’à un appel fait à « l’ennemi héréditaire, » jusqu’à la lettre adressée de Gotha le 2 décembre 1863 à l’empereur des Français, dans laquelle le prétendant invoquait pour les « souffrances » du Slesvig-Holstein les sympathies d’un grand souverain « qui n’a jamais été indifférent à la voix des peuples opprimés : l’Europe entière en est témoin[1]. » L’appel finissait par un curieux anch’io ! « Et moi aussi, disait le prince Frédéric à Napoléon III, j’ai eu à lutter contre un sort hostile, j’ai eu à supporter de pénibles revers, et si un mouvement d’orgueil m’était permis, j’ajouterais : Et moi aussi, je n’ai jamais renoncé à l’espérance, ni surtout à mon devoir !… » L’auteur de l’épître oubliait seulement d’ajouter qu’il n’avait non plus jamais renoncé au million et demi de rixdalers reçu par son père. Le souverain de la France fit à cette lettre, le 10 décembre 1863, l’honneur d’une réponse. Il y rappelait qu’ayant combattu pour l’indépendance italienne, élevé la voix pour la nation polonaise, il ne saurait en Allemagne avoir d’autres sentimens ni obéira d’autres principes. « Le Danemark a pu avoir des torts envers l’Allemagne… Toutefois, ajoutait l’empereur Napoléon III, si ce pays était opprimé par de puissans voisins, l’opinion publique en France se retournerait de son côté. » Ces paroles ne manquaient pas sans doute de gravité, car c’était la première fois que le gouvernement français déclarait ainsi hautement vouloir tenir la balance égale dans le conflit sur l’Eider, et admettait que le Danemark « avait pu avoir des torts ; » mais le motif de ce changement, il sera permis de le chercher dans un passage de la lettre où l’empereur exprimait « son regret, sous ce rapport comme sous bien d’autres, que l’Angleterre eût refusé d’assister au congrès qu’il avait proposé… »

Malgré la haute distinction dont le duc d’Augustenbourg. était ainsi devenu l’objet, nous nous garderons bien de lui accorder dans ce récit une place plus grande qu’il ne mérite et qu’il n’est probablement destiné à occuper dans ses « duchés héréditaires. » Bornons-nous à noter ici que le prétendant forma un ministère composé d’un M. Samwer, décréta le 5 décembre « un emprunt volontaire et sans intérêts, » dont nous ne connaissons pas le résultat, et annonça le dessein d’organiser sur le territoire de Cobourg « une armée slesvico-holsteinoise, » que seul le mauvais vouloir

  1. Du reste, le prétendant sut tenir plus d’un langage, et on lit aussi dans les state papers la dépêche suivante de lord Napier en date du 25 décembre : « Le prince Frédéric Augustenbourg a adressé une lettre à l’empereur de Russie où il sollicite d’être reconnu au nom des principes légitimistes. Le prince Gortchakov m’informe que la lettre ne sera pas renvoyée, mais qu’elle sera laissée sans réponse… ».