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avec les vues qu’il exposait lui-même il y a trois semaines ? — M. de Balan put seulement répondre qu’il n’avait pas eu connaissance de ce langage de M. de Bismark ; il convint qu’il y avait contradiction entre ce qui avait été dit alors et la démarche qui lui était prescrite maintenant ; mais il ne pouvait, pour ce qui le regardait, que suivre ses instructions officielles… »

il fallut bien passer cette contradiction à M. de Bismark, et peu de jours après l’on dut même lui savoir gré de ses « vues modérées dans la question[1], » car l’Allemagne en était à demander déjà tout autre chose que le retrait de la constitution de novembre ; elle demandait la franche spoliation du Danemark et proclamait le duc d’Augustenbourg souverain légitime des duchés !… Ce n’était pas, bien entendu, le vieux duc Christian-Auguste Augustenbourg qui se mettait cette fois sur les rangs, l’ancien et perfide conseiller du bon roi Christian VIII, l’exilé qui en 1852, et contre un million et demi de rixdalers reçu du gouvernement de Copenhague par l’entremise de M. de Bismark, s’était solennellement engagé « pour lui et sa famille, sur sa parole et son honneur de prince, à ne rien entreprendre qui pût troubler la tranquillité de la monarchie danoise. » Ce noble vieillard était désormais « décidé à se retirer de la vie publique et à passer ses derniers jours dans son château de Primtenau, dans le repos et le contentement. » Ainsi s’exprimait-il dans un acte daté du 16 novembre 1863 ; mais par ce même acte il déclarait céder « à son bien-aimé fils Frédéric » tous ses droits, notamment le droit de souveraineté dans les duchés de l’Elbe, « ses duchés héréditaires, » et le bien-aimé Frédéric s’empressait d’annoncer son joyeux avènement aux peuples du Slesvig et du Holstein ; un paragraphe spécial de la proclamation était aussi consacré aux habitans du Lauenbourg, — « beau pays échangé contre un pays dont je porte le nom ! » disait le prince Frédéric dans un galimatias double et attendri… L’impudence de cette démarche ne fut égalée que par l’enthousiasme avec lequel l’accueillit la loyale et généreuse nation allemande. Les démocrates d’outre-Rhin ne jurèrent que par « l’ancien ordre de succession » qu’invoquait le manifeste du prétendant ; les unitaires, toujours désolés de la multiplicité des princes régnans dans la grande patrie, apprirent néanmoins avec une joie ineffable qu’il y avait un souverain de plus en Germanie ; le duc de Cobourg-Gotha fut le premier à reconnaître le prince Frédéric ; le Bund ordonna à son comité l’examen approfondi de la question de succession, et avant tout il résolut de ne plus admettre dans son sein le plénipotentiaire de Christian IX pour le Hol-

  1. L’expression est du prince Gortchakov ; on la trouve dans la dépêche citée plus loin de lord Napier, et qui porte la date du 1er décembre 1863.