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de constitution que lui avait présenté le gouvernement pour les provinces scandinaves, le plénipotentiaire de Frédéric VII à Francfort soumettait au Bund un décret de son souverain qui accordait au Holstein le droit de voter lui-même son budget normal et complétait ainsi l’autonomie absolue de ce duché fédéral. Ceci se passait le 14 novembre 1863 ; le lendemain, Frédéric VII avait cessé de vivre… Assurément il n’est point sans grandeur, ce spectacle d’un monarque retraçant ainsi pour la dernière fois, d’une main près de se dessécher, l’extrême limite de ses concessions et de ses droits, et disparaissant ensuite pour ne pas être témoin du triomphe de l’iniquité et de la ruine de son peuple.

Chose curieuse, aux yeux de lord Russell, cet événement fut d’abord loin d’offrir un caractère menaçant ; il contribua même à ranimer en lui des espérances de paix. La semaine d’auparavant, dans sa dépêche éplorée du 9 novembre à sir Andrew Buchanan, le ministre britannique semblait décidément abandonner la partie, et déclarait renoncer à une médiation que la duplicité du cabinet prussien rendait tout à fait dérisoire ; mais le 18 du même mois il se reprenait à traiter, et offrait de nouveau sa médiation à Copenhague, à Vienne, à Berlin et à Francfort. C’est que la mort de Frédéric VII lui paraissait rouvrir la porte aux négociations ; c’est qu’il espérait, disait-il naïvement, qu’on aurait des égards pour la situation douloureuse du Danemark ; le Bund allait maintenant « retarder l’exécution, donner au nouveau roi le temps de se reconnaître et de former son gouvernement. » Lord John comptait sur la délicatesse de cœur de M. de Bismark, sur le sentiment des convenances qui distingue si éminemment ce bon peuple tudesque ! Il est juste toutefois de reconnaître que le langage du comte Rechberg put un instant autoriser quelque peu des illusions si étranges. Au reçu de la grave nouvelle de Copenhague, M. de Rechberg exprimait devant lord Bloomfield « l’espoir que cet événement, triste en lui-même, n’en aurait pas moins un effet favorable pour les affaires du Holstein ; » il déclarait avoir écrit « dans un sens conciliant » à Francfort et à Copenhague, et l’ambassadeur eut hâte de transmettre par le télégraphe cette bonne nouvelle à sa seigneurie du foreign office. « Son excellence, ajoutait lord Bloomfield, est évidemment désireuse d’employer l’influence de l’Autriche afin d’arrêter autant que possible toute complication qui pourrait surgir à la suite de ce changement de règne. » Dans le lamentable imbroglio dont le jeu désormais se resserrait de plus en plus, l’Autriche allait ainsi rappeler en maintes circonstances encore ce personnage connu de la comédie qui, au plus fort de l’action, profite de chaque a parte pour dire qu’il aurait grande envie de s’en aller…