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réfutable. Aux invocations quelque peu idylliques de M. Drouyn de Lhuys, l’impassible Johnny opposa les dures réalités du temps, les considérations tirées de la force des choses et de la faiblesse des humains ; ce fut, comme eût dit Voltaire, un curieux dialogue entre un ministre entendu et « un secrétaire d’état de la république de Platon. » Si, selon un mot maintenant célèbre, il suffisait en effet dans les affaires compliquées de ce monde d’être logique pour être juste, l’auteur de la verte dépêche à lord Cowley du 25 novembre 1863 pourrait aisément défier tout reproche, et il importe aussi de reconnaître que le comte Russell n’a été dans ce moment solennel que la conscience même de la nation britannique. L’Angleterre s’était montrée dès le premier jour unanime à repousser toute idée de congrès. Aussi, à l’ouverture du parlement, M. Disraeli félicitait-il les ministres de la reine d’avoir décliné une proposition qu’il ne craignait pas de qualifier d’adroite manœuvre, et il n’est pas jusqu’à MM. Cobden et Bright qui ne crussent devoir traiter sans merci les illusions d’un gouvernement ami du free-trade, les répudier avec un dédain marqué. Toutefois il est permis de se demander si lord John avait bien fait de prendre l’initiative d’un refus aussi péremptoire, et surtout de formuler sa réponse en des termes aussi acerbes, aussi blessans pour le souverain d’un grand pays. « Mon noble ami, devait dire plus tard[1] à ce sujet le très honorable M. Gladstone en prenant la défense de son collègue le principal secrétaire d’état, mon noble ami est un homme de loyauté et d’honneur, toujours porté à exprimer sa pensée avec aussi peu de circonlocutions que les circonstances peuvent le permettre. » Mais les circonstances d’alors permettaient-elles de se passer de toute circonlocution, et le moment était-il bien choisi par le ministre britannique pour faire sortir du puits de sa sagesse la vérité nue et choquante ? Un mois auparavant, le cabinet de Saint-James était en instances auprès du cabinet des Tuileries pour une action commune en faveur du Danemark, qui pouvait bien aboutir à une guerre avec l’Allemagne ; un mois plus tard, il devait renouveler sa démarche en l’accentuant d’une manière encore plus significative, — et c’est dans l’intervalle de ces deux propositions, au moment même où un changement de règne venait d’aggraver les complications, les périls sur les bords de l’Eider, que lord Russell jugeait opportun d’infliger au gouvernement de la France une mortifiante leçon, de combattre « une idée » assurément peu viable, et qui, pour mourir de sa mort naturelle, n’avait nul besoin d’un pareil déploiement des forces britanniques ! Il y a en diplomatie un art bien simple x presque élémentaire, et dont le chef actuel du foreign. office

  1. Séance de la chambre des communes du 4 juillet 1864.