Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On sait que nous ne discutons pas avec ceux qui nieraient qu’il existe telle chose que la vérité homogène à la raison, et que nous en trouvons le signe et le gage dans le moi, dans ce que la conscience nous y révèle de vérité et de raison. Or, s’il est de la nature de la vérité et de la raison d’être immortelles, elles ne peuvent l’être sans un moi quelconque. Qu’est-ce qu’une vérité et une raison sans conscience ? Une vérité qui ne peut être connue, une raison qui ne se connaît pas, c’est comme rien. Aussi admet-on que l’élément noétique dans l’homme n’est pas soumis à la mort du corps. Mais le noétique est la connaissance ou l’intelligence de la vérité. La vérité, c’est l’existence, la nature et l’ordre des choses. C’est sous ces trois rapports que notre esprit les conçoit et les connaît : conception imparfaite, connaissance limitée, ainsi le veut la nature humaine, mais conception et connaissance à quelque degré lucides, distinctes et certaines. Or cette intelligence n’est pas seulement spéculative, elle est active. La conscience, qui nous la révèle, nous la montre également noétique et pratique. Il est de la nature du moi, non-seulement de penser l’ordre des choses, mais, par la faculté de vouloir, de l’employer, de le mettre en œuvre, et jusqu’à un certain point de le diriger. Son pouvoir sur l’organisme n’est qu’un moyen instrumental de donner à cette volonté et à son action une réalité objective sur la terre et dans la sphère de l’expérience. L’homme exerce son activité en tirant parti et en prenant la direction de la causalité, c’est-à-dire en disposant des causes en vue des effets. Dans cet usage de son activité comme dans la connaissance de l’ordre des choses, il perçoit avec une certitude qui ne peut être ébranlée le bien et le mal, j’entends ces mots équivoques dans tous leurs sens, l’honnête et le déshonnête, le bonheur et le malheur, le beau et le laid, ce qu’il doit aimer et ce qu’il doit haïr. Ce sont là des facultés, des notions, des propriétés, des modes d’action, ou, de quelque manière qu’on veuille les appeler, des élémens du moi pensant, et la conscience, qui les éclaire tous, les enveloppe dans la même certitude. Or tout cela, c’est l’âme humaine, telle qu’elle se manifeste dans un moi indivisible. Si donc, comme on en convient généralement, le pur intellect est de sa nature immortel, il l’est avec tout ce qui en est inséparable. Il l’est avec sa conscience, et la conscience ne va pas sans souvenir. Il n’a pas l’immortalité d’une vérité abstraite, mais il a celle d’un être réel : c’est celle de l’âme tout entière. Les positivistes, qui généralement admirent beaucoup la convention nationale, ne devraient donc pas la trouver si sotte d’avoir reconnu, avec l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme.


CHARLES DE REMUSAT.