Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’il y ait dans l’homme quelque chose de divin, comment en douter, quand ceux mêmes qu’on appelle quelquefois athées disent que c’est tout ce qu’il y a de divin au monde ? Cette parcelle divine, cette flamme céleste, ce souffle de Jéhovah dans la Bible, c’est ce qui est en nous de pure intelligence, de pure raison, de vérité. « O raison, n’es-tu pas le Dieu que je cherche ? » s’écrie Fénelon. Temps perdu que de parler de philosophie avec ceux qui nieraient cela ! S’il n’y a pas de raison, il n’y a pas de Dieu, car la raison en soi, c’est Dieu même. Sur ce point, tout le monde est d’accord : Aristote avec Platon, Plotin avec saint Augustin, M. Cousin avec M. Vacherot. Cette idée implique l’immortalité du principe divin qui est en nous, et, à rester dans les termes généraux, il semble qu’il ne subsiste ni doute ni débat. Notre mort n’emporte pas ce qui ne peut périr.

Mais l’accord est apparent, il passe à la faveur d’une équivoque. Ce je ne sais quoi de divin, est-ce bien toute l’âme humaine, est-ce notre être moral, ce dont enfin l’immortalité nous intéresse ? Dès qu’on s’explique là-dessus, on se divise. Aristote, qui insère dans l’homme un principe de raison qui lui vient du dehors, tient sans doute ce principe pour indissoluble et impérissable ; mais cet intellect pur, ce principe noétique, sans souvenir, sans personnalité, simple et impassible, n’est venu et n’a passé dans l’homme qu’accidentellement, et demeure comme étranger à sa nature.

Ce qui est immortel pour Aristote, ce n’est donc pas l’âme, c’est l’intelligence. Et cette distinction a de graves conséquences pour les intérêts de l’humanité et le salut de ses meilleures espérances. On a critiqué cette distinction, et surtout l’abus qu’on en peut faire. On a dit[1] que c’était une idée de gnostique qui avait égaré quelques pères de l’église » On aurait pu ajouter que l’idée était chrétienne ou plutôt paulinienne. Saint Paul fait une grande différence entre l’homme psychique, et l’homme pneumatique, — pour parler français, entre l’âme et l’esprit, — et ce n’est peut-être pas l’unique trace qu’on puisse apercevoir dans ses épîtres d’un commencement ou d’un avant-goût de gnosticisme. Socrate s’exprimait mieux. On n’a pas assez remarqué que, dans le Phédon, l’immortalité est promise, non pas au nous, au verbe, au principe de l’intelligence, mais, à l’âme même, à la psyché, au principe à la fois de la raison, et de la vie, à l’acte constitutif de l’homme même. Telle est la doctrine que doivent soutenir tous ceux qui se disent platoniciens, et voici comme il nous parait qu’elle peut être établie en bonne psychologie.

  1. M. Henri Martin.