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Maintenant nous devons, en finissant, rappeler les termes constans dans lesquels la psychologie rationnelle doit poser ces questions. Il y a dans l’homme un principe pensant. Il se connaît pensant et pense d’après certaines lois qu’il reconnaît pour les lois des choses. Ce sont des vérités qui l’ont précédé et qu’il tient pour éternelles. Comme la connaissance lui en est naturelle et que cette connaissance suppose quelque chose d’antérieur, on a pu appeler les notions dont elle se compose des idées innées, ou bien, avec Platon, le fait de les concevoir une réminiscence ou une participation aux idées divines. Toutes ces expressions ne veulent dire, à parler simplement, qu’une chose : c’est que nous sommes naturellement capables de vérité, c’est-à-dire intelligens ; mais de ce que les idées fondamentales de l’intelligence correspondent à des vérités qui la précèdent, il ne suit pas nécessairement que l’intelligence ait existé avant le temps où elle les a connues, où elle s’est connue elle-même. La préexistence de son objet et de ses lois n’implique pas la sienne. A ne consulter que l’expérience, nous l’avons vue naître : elle n’existe dans sa plénitude que lorsqu’elle a conscience d’elle-même. Cependant tout porte à croire que le principe pensant existe en puissance ou en germe avant la naissance. Il a, comme l’organisme, sa vie embryonnaire, vie sans conscience aucune. Tout au moins existe-t-il dans l’enfant qui vient au monde, quoique la conscience alors soit encore bien faible, bien obscure, et que la mémoire, dont elle a grand besoin pour se développer, soit à peu près nulle ; Les deux ou trois premières années de l’enfance elles-mêmes ne laissent guère de souvenir. Ainsi les apparences expérimentales n’attestent nullement une existence antérieure à celle-ci, et la formation lente de la mémoire, et par elle le développement de la conscience, ne déposent pas en nous d’une intelligence qui ait vécu avant nous. La succession des incarnations est donc une pure hypothèse.

En tout, l’analogie de la raison humaine avec la vérité ou avec une raison indépendante de l’humanité n’entraîne pas entre l’une et l’autre une solidarité, encore moins une identité d’existence. Il faut oser le remarquer, quoique cette analogie ait été plus d’une fois invoquée à l’appui de l’immortalité de l’âme. De quelques beaux développemens que cette thèse soit susceptible, il faut en bien calculer la portée. Au fond, il n’en sort légitimement que l’existence de Dieu, ou plutôt d’une raison divine, et celle d’une certaine relation, d’une certaine communauté entre Dieu et l’homme. On ne peut guère en tirer autre chose sans courir risque de panthéisme. Voyons pourtant comment on en raisonne, et comme il nous semble qu’on en doit raisonner.