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semble que, malgré Hegel et M. Whewell, le simple sens commun a décidé ce dernier point. Maintenant ce point décidé se lie-t-il à la transmigration de l’âme immortelle ? On peut encore pencher pour l’affirmative. Si l’âme ne remplit pas l’espace à la manière d’un corps qui en déplace un autre, l’expérience et la conscience, si ce n’est la raison, nous disent qu’elle occupe un point dans l’espace. Il faut donc qu’elle soit quelque part, et ce point peut-il être ailleurs que dans le ciel ou l’espace céleste ? Il n’y en a pas d’autre. Dire ensuite que ce soit dans tel astre déterminé, c’est une pure conjecture, une hypothèse, et bien plus conjecturale, plus hypothétique encore est la pensée d’une succession d’existences diverses qui pour l’âme précèdent et suivent cette vie. M. Pezzani n’hésite pas. Les trois quarts de son livre sont employés à chercher dans tous les temps et dans tous les pays la doctrine de ces réincarnations successives, car il tient à la retrouver dans l’histoire, à montrer que, plus ou moins voilée ou altérée, elle a subsisté au fond de la plupart des religions et des philosophies, et que l’humanité ne l’a jamais abandonnée. Il y a beaucoup à apprendre dans cette partie du livre, qui nous donne d’une manière intéressante ce qu’on pourrait appeler la littérature du sujet. Venant enfin au fond de la doctrine, l’auteur l’appuie sur le fait, qu’il tient pour incontestable, de l’inégalité native des âmes sous le rapport de l’intelligence et de la moralité. Pas plus que les théologiens, il n’admet que Dieu puisse en être l’auteur. Cette inégalité ne peut donc être primitive, elle est le résultat d’un passé inconnu ; le péché originel est le péché antérieur ; c’est l’effet de diverses existences d’où l’âme sort dans un état fort différent de développement et de perfection. Ces existences peuvent être considérées comme des épreuves qui progressivement l’élèvent et l’épurent. L’enfer, comme l’exprime l’étymologie du mot, n’est que le lieu inférieur, par exemple la terre. Il n’y a donc pas d’enfer absolu, c’est-à-dire d’éternité des peines, pas plus qu’il n’y a de béatitude oisive, sans travail et sans progrès. Quant à la personnalité de l’âme, elle subsiste à travers toutes ces phases de l’existence, et les éclipses de la mémoire n’ont jamais entraîné l’extinction de l’être pendant les intervalles échappés à son souvenir. Telle est en résumé la doctrine. On goûte si peu aujourd’hui les spéculations sur l’inconnu, on paraît si résolu à n’admettre que ce qui est ou expérimental ou traditionnel, qu’on sera surpris peut-être de l’attention que nous réclamons pour des recherches quelque peu chimériques ; nous pouvons cependant assurer à ceux qui liront le livre de M. Pezzani qu’ils ne s’en repentiront pas.