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Survivre à la mort du corps, mais dans un autre milieu et sous une autre forme que la vie humaine, c’est à quelques égards renaître, et comme le lieu et les conditions de cette renaissance sont nécessairement des choses nouvelles, c’est comme une transmigration de l’âme dans un nouvel être. L’orthodoxie elle-même assigne à l’âme après la mort deux phases au moins, d’abord l’existence à l’état provisoire d’esprit pur, puis le retour final à des accidens corporels. Or le corps même, qui sera un jour reconstitué, doit être renouvelé et transfiguré, au moins pour les bienheureux. Ces changemens, sans compter le passage du lieu du purgatoire au séjour des élus, représentent bien quelques sortes de métempsycose. La différence, et elle est capitale, c’est que l’âme, dans les idées chrétiennes, ne cessera pas de se connaître pour la même âme, et qu’étant dans le secret de ses mutations providentielles, elle en comprendra le sens et la raison et pourra s’appliquer la loi morale qui les-lui impose. Il est étrange en effet de tenir si grand compte de la justice de Dieu, de la responsabilité des êtres libres, de l’idée de l’expiation, et de supprimer dans l’homme la conscience et le souvenir, en sorte qu’il mérite et démérite sans le savoir, qu’il expie sans s’en douter, qu’il soit justifié sans que sa volonté y entre pour rien. C’est introduire le fatalisme dans l’empire de la liberté humaine ; c’est proclamer l’immortalité de l’âme en détruisant son identité.

Jean Reynaud n’a pas ignoré ces objections ; mais, en essayant d’y répondre, il ne les a pas détruites. Voyons si ses successeurs ont été plus heureux.

Du temps que l’on croyait la terre immobile, on la prenait naturellement pour le centre de l’univers. Le soleil n’existait que pour elle, et l’homme était exactement le roi de la création. Les idées religieuses se réglaient sur ces illusions, et les plus justes, les plus Vraies elles-mêmes, appliquées à un monde amoindri, prenaient les proportions de notre égoïsme, qui croyait remplir à lui seul tout l’espace habitable.

Un étroit empyrée au-dessus des nuages, la surface du globe et ses cavités intérieures, c’était là le ciel et la terre, et c’était tout. Le christianisme lui-même, au moins dans l’esprit de la foule, confondant la fin du genre humain avec la fin du monde, se réduisait à la mesure d’un système qui peut-être exagérait l’homme, mais certainement diminuait Dieu et son ouvrage. Une liaison si étroite s’était établie entre ses dogmes et une fausse cosmologie, que lorsque le système du monde fut mieux connu et que la science restitua au cosmos son immensité, l’église prit l’alarme et traita d’hérésies dangereuses les découvertes qui inscrivaient en beaucoup plus