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ses yeux l’instrument puissant du pardon. Le repentir et la miséricorde divine qui l’accompagne devaient s’étendre jusqu’aux anges rebelles, et un jour viendrait où Satan lui-même, repentant et pardonné, replacerait sur son front le diadème des archanges ; l’enfer alors serait aboli. Origène tirait cette conséquence de l’épître de saint Jude, où il est dit que l’archange Michel, lorsqu’il précipita Lucifer dans l’abîme, s’abstint de prononcer sur lui la malédiction. Cette proposition hétérodoxe souleva tout d’abord tant de clameurs qu’Origène se vit contraint de la retirer et qu’il la nia ensuite. La ressemblance de l’homme avec Dieu, d’après les termes de la Genèse, donnait lieu à une quatrième hypothèse du docteur alexandrin, non moins hardie, non moins discutée que les autres. « Sans doute, disait-il, Dieu a créé l’homme à son image, mais comme âme et esprit ; la ressemblance a cessé avec la faute : elle n’existait déjà plus dans le paradis terrestre quand nos premiers parens y revêtirent cette forme matérielle soumise aux infirmités, aux misères, aux vices, que l’Écriture appelle symboliquement des peaux de bêtes : elle renaîtra avec l’expiation. » Le livre de Moïse n’était d’ailleurs pour lui qu’une allégorie dans laquelle s’évanouissait la réalité du récit biblique. Le paradis ne lui paraissait qu’un symbole : dans les arbres dont il était planté, il voyait de purs esprits ; dans ses fleuves des vertus célestes : on comprend que cette méthode d’interprétation fût plus favorable à la poésie qu’à la foi.

J’ai dit qu’une lutte fort vive, concernant ces propositions et quelques autres, venait de s’ouvrir en Égypte. Le patriarche d’Alexandrie trouva mauvais qu’on se permît d’attaquer un nom qui contribuait à la gloire de sa cité et à l’éclat de son siège épiscopal, et comme chez Théophile, qui occupait alors ce siège, la persécution était fort voisine du blâme, il traita rudement les moines ou les prêtres qui s’étaient permis des critiques. Théophile d’ailleurs, origéniste de position, passait pour l’être aussi de conviction, car c’était lui qui avait inculqué à Rufin, durant son séjour en Égypte avec Mélanie, quelques-unes des opinions du grand docteur alexandrin. Dans l’esprit logique et froid du prêtre d’Aquilée, ces opinions avaient pris un corps, et à la différence de Jérôme, qui puisait dans Origène des armes pour fortifier sa propre orthodoxie, Rufin refaisait Origène à son image, prêtant à ce maître un peu fantasque l’esprit d’ensemble et de cohésion, qui lui avait toujours manqué. Au dire de Rufin, Origène était la lumière de l’Évangile après les apôtres. Il le redit tant de fois à l’évêque de Jérusalem, avec lequel il s’était lié, il lui en donna tant de raisons arrangées à sa manière, que Jean de Jérusalem, qui était médiocrement savant, devint à peu près origéniste sur la parole de Rufin.

Les choses en étaient là, lorsqu’en l’année 395, un certain Ater-