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dait cette probabilité sublime. Au vœu du cœur et au consentement universel qu’il invoque, on ajoute d’ordinaire d’autres preuves ou considérations, — l’autorité des sages, — l’intérêt de la morale, — la nécessité de concilier l’ordre général avec la justice de Dieu, — la nature de l’âme. De ces raisons, dont aucune peut-être à elle seule ne serait décisive, on compose ce que M. Franck s’est cru en droit d’appeler une démonstration. Le besoin de les réunir semble l’aveu que sur chacune il pouvait y avoir quelque chose à redire.

Ainsi le consentement universel bien examine pourrait n’être pas une aussi péremptoire autorité qu’il le paraît à Cicéron. « Si haut que l’on remonte, si loin que la vue s’étende, point de nation si barbare, dit-il, qu’elle ne reconnaisse l’existence des dieux, et en toute matière l’accord de toutes les nations doit être tenu pour une loi de la nature. » C’est en effet par une loi de la nature que les peuples divers se seraient rencontrés dans une même opinion ; mais il ne suit pas nécessairement de ce qu’une opinion est naturelle qu’elle soit vraie. Nous avons vu dans une religion fondée sur l’unité de Dieu la vie future presque oubliée, et maintenant on sait sur les meilleures autorités qu’il existe dans une grande partie du monde une énormité singulière, une religion athée, ou plus exactement un système sur les destinées de l’homme en ce monde et dans l’autre où l’idée de Dieu ne trouve aucune place. Tel est le bouddhisme, que nous font connaître des livres excellens. Comment donc prétendre à rencontrer parmi les hommes en matière religieuse une décisive unanimité ? Notre capacité d’erreur est plus grande qu’on ne croit.

Quant au vœu secret du cœur, il est de la nature de la foi. C’est un motif de détermination plus puissant peut-être qu’un argument logique ; mais, pour lui attribuer une valeur absolue, il faudrait avoir prouvé que l’homme est incapable d’illusions naturelles, et que le monde est constitué pour lui plaire. On ne peut s’étonner que ce genre de preuve touchât particulièrement Rousseau : une âme vraiment sensible n’en demandera pas d’autre.

L’autorité des sages, que Tacite invoquait, est faite pour ébranler au moins tout esprit d’une certaine élévation. Lorsqu’il se laissait aller à être lui-même, M. Royer-Collard avouait que cette considération mettait seule un temps d’arrêt à son scepticisme illimité, et qu’il aimait, après tout, à penser avec les seuls hommes de tous les siècles qu’il aurait aimé à entendre. Il n’est cependant que trop certain que les plus intelligens et les meilleurs n’échappent pas à l’influence de leur pays et de leur temps, et leur accord n’est pas un signe infaillible d’infaillibilité.

C’est une considération souvent prépondérante dans les choses