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en la décriant dans l’esprit des sages. Elle est cause qu’en devenant plus éclairés les peuples deviennent incrédules, et, malgré les efforts méritoires et souvent heureux de la philosophie pour renouveler ou raffermir les bases de la doctrine d’une autre vie, la croyance s’en était affaiblie dans l’antiquité gréco-latine aux approches de l’ère chrétienne. Les fables du Styx et du Tartare avaient discrédité les idées mêmes dont elles avaient été longtemps les symboles. En cela comme en tant de choses, le christianisme vint bien à propos pour restaurer les espérances du genre humain, et M. Henri Martin s’attache à montrer avec développement toute la supériorité que ses enseignemens lui paraissent avoir sur les croyances antérieures, soit traditions populaires, soit doctrines hiératiques, soit hypothèses de philosophes. Il est trop éclairé, trop familier avec Platon pour contester que la vie future soit parfaitement conciliable avec l’idée d’un principe spirituel qui, dégagé par la mort des liens de l’organisme, survivrait au corps et persisterait à jamais seul, incorruptible et libre, ce qui est la pure doctrine de l’immortalité de l’âme ; mais il remarque que les anciens l’ont en général associée à l’idée d’une résurrection possible de l’être humain tout entier, ou du moins encore pourvu d’une forme sensible. Cette addition aux révélations du pur spiritualisme a pu prêter à quelques erreurs regrettables, elle a certainement favorisé l’hypothèse de la métempsycose ; mais elle a paru généralement satisfaire mieux à certains besoins de l’esprit humain. Elle a donné un corps, pour ainsi dire, à la croyance comme à l’âme elle-même, elle a rangé l’imagination du côté de la raison, et M. Martin n’hésite pas à déclarer que le christianisme a plus et mieux fait pour la vie future qu’aucune métaphysique, en la fondant à la fois sur le principe de la spiritualité de l’âme et sur le dogme de la résurrection des corps. Cette double doctrine donne lieu à une multitude de questions de philosophie, de théologie, de physique même, et l’auteur les traite avec autant de clarté que de savoir, d’autant plus hardi à les aborder qu’il est rassuré contre les difficultés qu’elles présentent par l’orthodoxie de ses solutions. En effet, si les philosophes peuvent reprocher aux théologiens quelque timidité quand il s’agit de poser les principes, les théologiens sont beaucoup moins timides que les philosophes à l’égard des questions particulières. Pourvus d’une foi préalable qu’ils ne mettent jamais en jeu, ils ne craignent pas de la compromettre au contact des théories hasardées ou des objections insolubles. Ainsi, en se rattachant aux plus saines des interprétations adoptées par l’église, M. Henri Martin a pu se jeter avec une intrépidité savante au milieu des problèmes ardus qui font reculer d’effroi les élèves et les maîtres mêmes des