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deur, de quel ton de triomphe exalterait-on ce privilège émanent d’une doctrine qui, seule au milieu des obscurités des religions anciennes, aurait mis en pleine lumière cette double vérité, un seul Dieu et une autre vie ! Au lieu de cela, il faut que les plus sincères se résignent à soutenir que la vie future est une de ces vérités dangereuses dont on peut abuser, que le peuple juif, inférieur à ces nations idolâtres à qui nos missionnaires la portent sans hésitation ni ménagement, n’aurait pu l’entendre sans la confondre avec le pouvoir de ressusciter les morts par une évocation, et que Dieu, comme un monarque sage, a dû entourer de voiles prudens ce qu’il prescrirait aujourd’hui de proclamer sur les toits. Ainsi c’est en législateur politique que le Seigneur aurait agi lorsqu’il a laissé dans l’ombre le fondement de toute espérance et de toute obligation religieuse ; mais cette politique qui conseille de mettre la vérité à l’écart parce qu’on en peut faire abus, et de tenir le peuple dans l’erreur ou l’ignorance de peur qu’il ne s’égare en s’éclairant, n’est ni bonne, ni belle, quand elle est pratiquée par un roi de la terre ; comment donc l’imputer à un roi qui s’appelle Jéhovah ? Que des sujets de Louis XIV et Bossuet lui-même se laissent persuader ainsi par la raison d’état, cela se comprend, on n’en savait alors pas davantage. Aujourd’hui de tels argumens ne se peuvent souffrir, et il est surprenant que M. Henri Martin n’y ait pas pensé. A qui persuader qu’il y ait une situation sociale où l’attente d’une autre vie soit une vérité nuisible ?

Le seul tort est d’avoir essayé d’expliquer l’inexplicable. Il valait mieux sans doute, comme le fait l’auteur avec plus de succès, aller droit à la croyance chrétienne et la montrer qui s’élève au-dessus des opinions confuses et changeantes de l’ancien monde, pour déterminer par des affirmations positives la certitude et les conditions des destinées de l’humanité et fonder la foi la plus précise et la plus durable dans la vie à venir qui ait jamais existé sur la terre. Il serait sans doute injuste de soutenir que l’antiquité ait été étrangère à l’attente d’une autre existence après cette vie fugitive qui ne peut satisfaire ni la pensée, ni les désirs de l’homme : M. Henri Martin établit même qu’il n’est point de temps ni de peuple qui n’en offre au moins des traces visibles, et chez les nations les plus célèbres cette attente reposait sur des dogmes publics ou secrets qui lui donnaient une forme distincte ; mais la beauté de quelques-uns de ces dogmes et surtout des maximes morales auxquelles ils servaient d’appui n’empêchait pas qu’un mélange de fictions bizarres ou de préjugés superstitieux n’en altérât la pureté et n’en compromît la puissance. La superstition, qui peut un temps servira la religion en contribuant à son influence, lui nuit à la longue