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quelquefois être réunies dans une commune croyance, la résurrection et l’immortalité. L’imagination des peuples, l’esprit des temps primitifs, se portent plus naturellement vers la première. La mort offre un tel aspect d’anéantissement que, pour attribuer à ceux qu’elle a frappés une existence ultérieure, on se figure volontiers qu’un pouvoir miraculeux les fait revivre. On les suppose soit immédiatement, soit après certains délais, soit accidentellement, rappelés à la vie, quelquefois même par des moyens surnaturels, mais terrestres, qui les ramènent temporairement sur la terre, et de là vient l’ancienne croyance aux apparitions et aux évocations ; mais la pensée d’un principe qui subsiste dans l’humanité distinct et indépendant du corps mortel est une pensée philosophique, une vérité de science qui n’était guère entrevue que confusément par le vulgaire, qui même aujourd’hui n’est pas conçue bien distinctement par toutes les intelligences. Sans doute on pourrait prouver à tous ceux qui croient à une résurrection qu’ils admettent forcément quelque chose qui soit ressuscité. Ce n’est pas le néant pour eux qui redevient homme. Entre la mort et la renaissance, ils supposent donc un intervalle, un je ne sais quoi, un je ne sais quel état comparé le plus souvent au sommeil et à l’insensibilité qui l’accompagne, et ce qui persiste ainsi d’une vie à l’autre est ce qu’un peu de réflexion pourrait amener à la conception d’une âme immortelle. Cependant il faut arriver à des philosophes, et à des philosophes d’élite, dans un siècle avancé, pour trouver accouplés ces deux mots âme et immortalité[1]. Jusque-là, l’espérance et la tradition se bornent en général à dire, dans les termes de Platon lui-même, qu’il reste quelque chose aux morts, et quelque chose de beaucoup meilleur pour les bons que pour les méchans. Platon même, au lieu de dire que l’âme survit, dit quelquefois qu’elle revit, et semble ainsi confondre l’immortalité avec la résurrection[2]. Cependant le Phédon demeure encore ce qui s’est tenté de plus fort et de plus heureux pour persuader à la raison que l’âme est immortelle. Le prix est beau, et l’espérance est grande. La tentative est digne qu’on en coure le hasard[3]. Après deux mille quatre cents ans, on ne saurait encore rien donner de mieux à lire à qui douterait de la vie à venir que l’écrit pathétique qui consolait Caton après Pharsale et le préparait dans une nuit suprême à la mort libératrice.

Ces derniers mots seront à peine lus qu’on m’arrêtera pour me demander si je compte les livres religieux pour rien, et si j’entends

  1. Platon, Phédon, XVII, XLIV, XLVIII, LIV et passim. — Animorum immortalitas, Cicéron, Tusc. L. II, 14, et passim. — Animorum œternitas, id, ib., 17, 23. — Immortalitas animœ, Tacite, Ann., XVI, 19.
  2. Phédon, XVI, XVII, etc.
  3. Ibid., LXIII.