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grand historien des fourmis, au Genevois Huber, des récits épiques sur les batailles que se livrent quelquefois les républiques rivales. Il lui emprunte aussi des détails sur les instincts esclavagistes que montrent certaines tribus, et qui les portent à exécuter de vive force, chez les tribus plus faibles, de véritables razzias pour se procurer les serviteurs indispensables à leur paresse. Quant aux abeilles ; nous ne pouvons mieux faire que de donner un spécimen de la façon dont M. Pouchet rajeunit leur histoire. « Lorsqu’un ennemi peu redoutable se faufile dans une ruche d’abeilles, les premières sentinelles qui l’aperçoivent le percent de leur aiguillon et en un clin d’œil en rejettent le cadavre hors de la demeure commune ; mais si l’agresseur est une forte et lourde limace, tout se passe différemment. Un frémissement général s’empare des travailleurs ; chacun apprête ses armes, tourbillonne autour de l’envahisseur et le perce de son dard. Assailli avec furie, blessé de tous côtés, empoisonné par le venin, l’animal rampant meurt au milieu de violentes contorsions ; mais que faire d’un si pesant ennemi ? Les petites pattes de toute la tribu ne suffiraient pas pour en ébranler le cadavre… Les exhalaisons putrides vont cependant bientôt infecter la colonie et y développer le germe de quelque maladie. Comment sortir de cet embarras ? La république avise et prend une résolution subite… Ainsi que sous les pharaons d’Égypte on embaumait les cadavres des animaux, les abeilles embaument le mort dont la présence les menace. Les ouvrières se dispersent dans la campagne pour y recueillir la matière résineuse qui englue les bourgeons,… elles en enveloppent le mort en guise de bandelettes et déposent tout autour de son corps une couche épaisse et solide qui le préserve de la putréfaction… »

Comme on le voit, il y a de très bons morceaux dans le livre de M. Pouchet ; mais, il faut cependant l’avouer, le ton de ce livre est languissant. L’auteur n’ayant pas songé sérieusement à se tracer un plan, les faits se trouvent enfilés les uns à la suite des autres, comme les grains d’un chapelet ; la succession monotone des exemples fatigue et alourdit le lecteur. Il y a plus, M. Pouchet cite un grand nombre de singularités, de phénomènes exotiques, rapportés souvent sur la foi d’un seul voyageur. Il a grand soin, comme nous l’avons dit plus haut, de marquer l’origine de son récit et d’indiquer ainsi qu’il n’y croit guère : le lecteur sait donc à quoi s’en tenir et ne peut pas se plaindre d’être induit en erreur ; mais il est bientôt obsédé de cet inutile étalage d’érudition. Tous ces détails oiseux auraient disparu d’eux-mêmes, si l’auteur avait conçu son œuvre dans un esprit d’ensemble, s’il l’avait rapportée tout entière à quelques grandes lignes principales.

M. Pouchet s’est acquis, comme chacun sait, une grande notoriété depuis quelques années en ramenant l’attention publique sur la question des générations spontanées, et en soutenant avec vigueur contre l’Académie des Sciences à peu près tout entière la cause de l’hétérogénie[1]. On doit donc s’attendre à trouver dans le livre de l’Univers un écho de cette querelle retentissante dont le bruit a récemment ému le monde savant. Et d’abord M. Pouchet se donne le facile plaisir de montrer avec quelle légèreté l’Académie a quelquefois repoussé les vérités qu’on lui apportait et persévéré

  1. Voyez sur cette question la Revue du 15 novembre 1860 et du 15 novembre 1864.