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et suivant les traces d’un de ses ancêtres philosophiques, moine comme lui, Campanella, il ne craint point d’aller jusqu’à proposer la communauté des femmes.

Il est inutile de s’arrêter plus longtemps à l’analyse d’un système qui, s’il nous est permis d’en juger par les extraits que nous donne M. Beaussire, n’aurait d’autre mérite que d’être le germe grossier de certaines idées que la philosophie allemande a développées depuis avec une grande puissance. Nous sommes disposé à croire que M. Beaussire exagère un peu la valeur philosophique de dom Deschamps. Sans doute c’est une curiosité historique intéressante que de rencontrer dans un bénédictin du XVIIIe siècle quelques-unes des formules de l’école hégélienne ; mais dom Deschamps nous paraît en général, d’après les citations qui nous sont données, un esprit assez lourd, qui a pu avoir quelques intuitions métaphysiques, mais qui ne paraît pas les avoir développées avec beaucoup de finesse. Nous ne craindrons pas de chagriner M. Beaussire en disant que nous aimons beaucoup mieux ses propres réflexions que les citations qui les accompagnent. Soit qu’il contredise dom Deschamps, ce qui lui arrive le plus souvent, soit qu’il l’explique et le développe dans un bon sens, peut-être avec un peu de complaisance, M. Beaussire fait preuve d’un esprit vraiment philosophique, pensant par lui-même et s’exprimant avec fermeté et avec justesse. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il répudie toutes les doctrines de son héros, et qu’il lui reproche surtout d’avoir sacrifié la personnalité humaine et les attributs moraux de la Divinité.

La partie la plus curieuse sans contredit du livre de M. Beaussire est celle qui traite de la correspondance de dom Deschamps et de ses relations avec les philosophes de son temps. Notre bénédictin en effet avait essayé de faire des conquêtes dans l’école philosophique : il avait envoyé des fragmens et des analyses de son système aux philosophes les plus célèbres d’entre ses contemporains. Ce sont les réponses qui nous sont données par M. Beaussire, et qui méritent d’être lues avec intérêt.

De ce nombre sont principalement cinq lettres de Jean-Jacques Rousseau, dont quatre inédites. La cinquième, quoique déjà publiée, s’éclaircit d’un jour nouveau par les circonstances qui l’expliquent et que l’on ignorait. Dom Deschamps avait beaucoup compté sur la sympathie de Rousseau ; mais, comme le dit spirituellement M. Beaussire, « l’auteur de l’Essai sur l’inégalité n’avait de goût que pour ses propres paradoxes. » En philosophie, il n’est pas autre chose que l’apôtre du sens commun, et ici il se montre à l’égard du précurseur de Hegel ce que sera Jacobi, le Rousseau allemand, à l’égard de Schelling. Cependant, parmi ces objections de sens commun que Rousseau fait à dom Deschamps, il en est qui témoignent d’une assez grande perspicacité philosophique. Quoiqu’il n’ait eu entre les mains que la préface du livre, il en devine parfaitement le caractère et l’esprit, et en porte le jugement le plus net et le plus judicieux. Voici, par exemple, une des quatre lettres nouvelles données par M. Beaussire, et qui pourrait être intitulée : le jugement anticipé de Jean-Jacques Rousseau sur la philosophie hégélienne. « Vous voulez que je vous parle de votre préface ? lui dit-il. Que vous dirai-je ? Le système que vous y annoncez est si inconcevable et promet tant de choses que je ne saurais qu’en penser. Si j’avais