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s’apprête à lui livrer bataille, et le combat sera sans aucun doute acharné. Enfin, à supposer que ces premières luttes aient un dénoûment favorable, les réformes intérieures proposées conduisent naturellement à une dissolution des chambres, épreuve toujours grave. Et pour dire le dernier mot, le ministère sera-t-il suivi, soutenu jusqu’au bout, à travers tous ces défilés par la confiance de la couronne ?

La situation du nouveau cabinet espagnol n’est donc pas des plus faciles ; elle n’est pas surtout de celles qui peuvent susciter des illusions démesurées. Ce qui est certain, c’est que dans cette situation difficile, compliquée, le général O’Donnell a pour lui l’expérience de son propre ministère et l’expérience du ministère du général Narvaez, qui s’achève à peine. En ne faisant rien, il tombera, comme il est déjà tombé ; en se laissant imposer des déviations qui le ramèneront vers une réaction plus ou moins déguisée, il aura le sort du général Narvaez. En s’attachant avec fermeté à une politique sensément libérale, il peut tomber sans doute, il tombera du moins avec honneur, laissant ouverte la seule voie où l’Espagne puisse trouver désormais la sécurité et un ordre durable. On aura beau faire à Madrid, le libéralisme est la seule issue ; tout le reste est précaire, sans compter le péril, qui peut aller en croissant.

CH. DE MAZADE.



ESSAIS ET NOTICES.
UN PRÉCURSEUR FRANÇAIS DE HEGEL[1].


L’histoire philosophique et littéraire du XVIIIe siècle a été creusée et fouillée en tant de sens divers que c’est vraiment une bonne fortune aujourd’hui de découvrir dans ce champ épuisé quelque coin nouveau et non défriché. Cette bonne fortune vient d’échoir à un professeur distingué de l’Université, M. Émile Beaussire, qui, dans un livre curieux, nous raconte, d’après des pièces inédites, un épisode assez inattendu et des plus piquans.

Dans une lettre fort curieuse de Diderot à son amie Mlle Voland, nous lisons ces paroles : « Je fis hier un dîner fort singulier. Je passai presque toute la journée chez un ami commun avec deux moines qui n’étaient rien moins que bigots. L’un d’eux nous lut le premier cahier d’un traité d’athéisme très frais et très vigoureux. J’appris avec édification que cette doctrine était la doctrine courante de leurs corridors. » Ce moine athée qui réjouissait Diderot, mais dont le nom était resté ignoré, est précisément le personnage dont M. Beaussire va nous exposer l’histoire. C’est un bénédictin de l’abbaye de Montreuil-Bellay, nommé dom Deschamps, et ce traité d’athéisme est un ouvrage inédit intitulé le Vrai système, dont M. Beaussire a découvert, sinon l’original, au moins la copie dans la biblio-

  1. Antécédens de l’hégélianisme dans la philosophie française, par M. Émile Beaussire, professeur à la faculté des lettres de Poitiers ; Paris, chez Germer-Baillière, 1865.