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rale actuelle soit revenue aux idées de réforme. Les tories se vengent de cet oubli où la réforme est tombée parmi les whigs par un mot. « Les whigs, a dit le grand romancier sir E. Bulwer-Lytton dans son adresse à ses électeurs, sont des oiseaux qui chantent quand ils sont libres et sont muets quand ils sont en cage, » jouant sur les mots in et out, dedans et dehors, par lesquels les Anglais désignent la situation des hommes politiques suivant qu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition. Les prochaines élections anglaises, n’étant soumises à l’influence d’aucun grand cri politique, laisseront probablement les partis parlementaires dans la proportion de forces respectives où ils se trouvaient auparavant. Il n’y aura guère de curieux dans ce mouvement électoral que les accidens. Par exemple, trois jeunes fils d’hommes d’état vétérans, trois pur-sang de la politique aristocratique ou officielle, vont courir les chances de la lutte électorale : le fils de lord Russell, lord Amberley, à Leeds, le fils de M. Gladstone à Chester, le second fils de lord Derby, M. Arthur Stanley, dans un comté. M. Gladstone a lui-même patronné son fils par un éloquent discours auprès des électeurs de Chester. C’est de la politique patriarcale comme elle n’est possible qu’en Angleterre, dans cette Angleterre qui disperse ses enfans sur la surface de la terre et où cependant la vie de famille demeure si forte. En fait d’accidens électoraux, celui qui nous intéressera le plus dans cette épreuve est l’élection de Westminster. Cette élection, grâce à l’un des candidats, aura un grand relief et sera très originale. Un candidat whig appartenant à l’aristocratique et opulente famille de Grosvenor se présente dans ce district, qui a toujours gardé parmi les circonscriptions de la métropole anglaise un caractère démocratique ; mais les libéraux avancés ont eu l’heureuse idée de lui opposer un des noms les plus grands de l’Angleterre dans la sphère de la philosophie sociale et politique, celui de M. John Stuart Mill. De là l’importance et en même temps la singularité de la lutte. M. Mill n’a accepté la candidature qu’à des conditions insolites : il a déclaré d’abord qu’il ne ferait aucune brigue électorale, qu’il s’interdirait le canvass, préliminaire obligé de la compétition électorale dans les mœurs anglaises ; ensuite qu’il ne ferait aucune dépense pour l’élection, les dépenses électorales devant, selon lui, être encourues non par le candidat, mais par les électeurs eux-mêmes ; enfin qu’il ne se laisserait pas interroger par les électeurs sur ses convictions religieuses. M. Mill établit ainsi un précédent tout nouveau et vraiment conforme à la dignité personnelle d’un penseur désintéressé qui s’est suffisamment fait connaître par ses œuvres. Sa conduite semble dire que ce n’est point à lui de rechercher les électeurs, et que c’est à ceux-ci, s’ils veulent de lui, de faire tout le chemin. Aussi jusqu’à présent est-il resté éloigné du champ de la lutte, résidant dans notre Auvergne ou à Avignon, où l’attire depuis plusieurs années le souvenir pieux de sa femme, qu’il a perdue dans cette ville. Si, dans ces conditions, le bourg de Westminster choisit M. Mill pour son représentant, il se couvrira d’honneur ; il montrera qu’il est la première constituency de la