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mait M. de Morny à l’unanimité, le candidat de l’opposition a été élu à 2,000 voix de majorité. Le système des candidatures officielles est en train de s’user, et il est certain que, si le pays avait à faire aujourd’hui des élections générales, les candidats libéraux pourraient compter sur de nombreux et éclatans succès.

Les élections générales, c’est l’intéressante épreuve que l’Angleterre va traverser. C’est un moment pittoresque de la vie anglaise que l’élection d’une nouvelle chambre des communes. Là la liberté s’exerce avec une complète sécurité. Les Anglais ne jouissent point encore du bienfait et de la gloire du suffrage universel ; ce malheur n’est point pour eux sans compensation. Ils ne connaissent dans le jeu électoral ni les circulaires des ministres de l’intérieur, ni les préfets, ni les sous-préfets, ni les commissaires de police, ni les gendarmes, ni les gardes champêtres. Tous les citoyens ne sont pas électeurs ; mais en revanche les électeurs ne sont soumis à aucune pression gouvernementale. Toutes les variétés d’opinions, de tempéramens, d’esprits, d’intérêts, peuvent se donner pleine carrière. L’élection n’est pas seulement un grand acte de la vie publique, c’est un sport. Des Français ont depuis quelques années l’ambition louable de lutter dans les courses de chevaux avec les Anglais en Angleterre même. Cette année, un cheval né en France a gagné le derby d’Epsom, le ruban bleu du turf, comme disait M. Disraeli à propos de lord George Bentinck. Nous rêvons, nous, le jour où nous gagnerons contre les Anglais le ruban bleu de la liberté politique, le jour où, comme nous l’avons déjà fait en 1830 en les aidant au triomphe de leur bill de réforme, nous les provoquerons par notre exemple à accomplir un progrès nouveau dans leur constitution ; mais, en attendant que nous puissions leur donner des leçons, nous avons à en recevoir d’eux ; avant de les vaincre, nous sommes réduits à les imiter en les enviant. Au surplus, les prochaines élections anglaises ne donneront lieu à aucune lutte violente de parti ; on dirait que le progrès politique intérieur de l’Angleterre a été arrêté par les préoccupations que lui inspirent depuis quelques années les événemens extérieurs. Cette influence restrictive du dehors sur le dedans explique l’histoire du parlement dont l’existence va se terminer le 10 juillet. Ce parlement avait été élu sur une question de réforme électorale. Les libéraux, ayant à leur tête tous les hommes d’état doués de vocation ministérielle, avaient crié haro sur le bill de réforme de M. Disraeli. Cette réforme était insuffisante, et les whigs en promettaient bien une autre. Les élections s’accomplirent ; les réformistes avancés eurent le dessus, et le cabinet Derby-Disraeli fut renversé au profit du ministère de lord Palmerston et de lord John Russell : mais, depuis ce temps, de la réforme plus de nouvelle. C’était bien de réforme alors qu’il s’agissait ! L’esprit de lord Russell et, il faut le dire, de l’Angleterre, était ailleurs. Il était à la question italienne, à l’annexion de la Savoie, à la guerre civile des États-Unis, à l’affaire des duchés danois. Les diversions ont été si fréquentes et si importantes qu’il n’est pas certain que l’Angleterre électo-