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de salon sans être frivole. « Tenez, écoutez ceci, nous disait un jour Rossini, s’arrêtant devant son piano pour y jouer debout une phrase d’Haydn, dont il sait par cœur l’œuvre entière, comme il sait tout Mozart et tout Cimarosa. Quelle distinction ! quelle grâce ! Quand ces gens-là modulent, il semble que ce soit une caresse qu’on nous fait, tandis que maintenant c’est comme un coup de poing qu’on vous donne dans le dos. » Mendelssohn connaît sa force, il en règle, en mesure le juste emploi, et jamais ses modulations ne ressemblent à des coups de poing ; ce qui d’ailleurs ne veut pas dire que chez lui, ainsi que chez Haydn, l’inspiration coule de source. Le travail partout se fait sentir. Il compose comme peignait Flandrin, et ce que nous prenons pour du génie n’est souvent que le résultat d’une patience imperturbable, d’un talent hors ligne ; mais la force jeune est absente. Quand on a tant de foi dans le dièze et le bémol, on cesse d’être dominé, entraîné par ce qu’on a trouvé on ne sait où ni comment. Les pourquoi, les comment, son tort est de s’en rendre un compte trop exact, et toute cette sage économie de théoricien réformateur demandant au passé classique des moyens de réaction contre la platitude, la trivialité, le clinquant d’un art banal, ne suffit pas pour tenir lieu des qualités primesautières de l’imagination.

Comme Weber, Meyerbeer, Hérold, il était excellent pianiste, mais sans vouloir tirer honneur ni bénéfice de sa dextérité mécanique. Louer chez lui le virtuose le molestait. S’il s’asseyait au piano, c’était pour rendre l’esprit d’une composition, non pour faire valoir l’élasticité de ses doigts. A l’orgue, même attitude ; vous auriez cru entendre un de ces maîtres des temps passés, un de ces hommes dont la vie s’écoulait dans les combinaisons du contre-point, prodiguant à flots d’improvisations ce que nos modernes ont tant de peine à noter sur le papier. Et le chef d’orchestre que j’allais oublier ! Il avait le tempérament de cet emploi, il en avait le physique : port superbe, regard dominateur, oreille exercée, subtile. Joignez à ces dons une singulière présence d’esprit dans les cas difficiles, une parole aisée, toujours imposante, l’imperturbable expérience du sens intime des chefs-d’œuvre, l’habitude, contractée de bonne heure, de diriger de grandes masses, et vous aurez une idée des splendides effets qu’il obtenait. C’était l’idéal du chef d’orchestre : j’en appelle à tous ceux qui l’ont pu voir à Leipzig conduire l’exécution des symphonies de Beethoven.

SI remarquable d’ailleurs que soit l’œuvre de Mendelssohn, je doute que les Allemands l’eussent adoptée avec cette unanimité de suffrages sans diverses considérations spéciales qui s’y rattachent. Mendelssohn, en s’instituant le chef de l’école du bon sens, ne se contenta pas d’opposer une digue aux fausses doctrines ; il fit mieux, il centralisa le goût musical en Allemagne. On sait quelle fut de tout temps la dispersion intellectuelle de l’autre côté du Rhin. L’idée qu’on a du particularisme politique en Allemagne n’est rien, comparée à ce qui s’y passe en fait de littérature, de