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tutionalisme, république, — exerce aucune espèce d’influence sur la marche et le progrès de la musique, l’artiste, selon moi, ne se développant que conformément à la période où il apparaît. Supposons qu’à dater d’aujourd’hui, et par une incantation quelconque, la musique fût condamnée à dormir cent ans, comme cette princesse du conte bleu, et supposons en même temps que pendant ce sommeil séculaire de notre art les idées politiques et sociales aient continué de marcher : pensez-vous que la musique, s’éveillant de sa longue léthargie, se trouverait de niveau avec le reste du monde ? Estimez-vous que les chefs-d’œuvre des nouveaux maîtres seraient de cent ans en avant des meilleures partitions de notre époque ? Pas même d’une semelle. Le monde aurait eu beau progresser de toute manière, qu’il ne leur en faudrait pas moins se remettre à étudier nos ouvrages et à renouer le fil interrompu de la tradition ! »

De là, Mendelssohn conclut que le progrès de la musique ne saurait avoir rien de commun avec la marche de la religion, de la philosophie, de la science et de la politique, et qu’on doit n’y voir qu’un art qui naît, grandit et meurt selon ses lois naturelles et spéciales. Et nous qui n’eussions pas demandé mieux que de réclamer en faveur de l’auteur d’Antigone, de Fingal et d’Élie contre cette sotte épithète de spécialiste que ses ennemis lui jettent à la tête comme un pavé !

Il s’appelait Félix, et tout dans sa carrière semble s’arranger pour justifier ce nom d’heureux. Sans jamais avoir frappé de grand coup d’éclat, il se trouva, quand il mourut, que sa gloire était consentie universellement. Qu’avait-il fait pour tant de renom ? Ce qu’en aucun lieu le public ne goûte : des oratorios, des œuvres d’église, des cantates, des symphonies, des quatuors et des sonates, non que les musiciens manquent en Allemagne à ce genre de composition, mais, hélas ! les infortunés qui, par force de vocation, s’y entêtent ont renoncé à toute illusion de gain et de célébrité. Mendelssohn eut cette chance unique, après s’être exercé dans les vieilles formes, de voir le succès lui venir, de commander aux éditeurs, au public. Meyerbeer, pour émouvoir, subjuguer, soulever l’Allemagne, établit à Paris son point d’opérations, son centre d’Archimède. Mendelssohn au contraire reste Allemand, et réussit à convaincre, à passionner son pays. Dédaigneux de la France et de l’Italie, il passe devant Mozart, Haydn, en se contentant de leur ôter son chapeau, et lie commerce avec Haendel et Bach. Il les civilise, les forme aux politesses du jour, les modernise. De ces rudes et grossiers bourgeois du dernier siècle, il fait des gens bien élevés, presque des diplomates, leur apprend à mettre des gants, à se tenir dans un salon, à servir le thé. Toujours élégant, aimable, il ne néglige aucune bien séance ; son art, sans cesser d’être grand, s’approprie aux besoins, aux conditions de notre époque. Exécutée ailleurs que dans un temple, sa musique religieuse intéresse, édifie ; nul ne songe à crier à la profanation. Il sait écrire de la musique de chambre sans être assommant, de la musique