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comme à un modèle qu’on aime à reproduire. » Ici l’interlocuteur de Mendelssohn cherche à l’embarrasser en évoquant à ses yeux la dernière période de Beethoven, en lui citant les derniers quatuors, la neuvième symphonie, et tant d’autres œuvres d’une force, d’une originalité créatrice, telles qu’aucun nom, fût-ce même celui de Mozart, ne se présente à la pensée pour en contester le caractère typique. A quoi le maitre répond avec l’autorité d’une parole longtemps méditée :

« Il se peut qu’à un certain point de vue vous ayez raison. La forme est devenue en effet plus vaste, le style plus travaillé, la pensée plus mélancolique, plus sombre, plus constamment voilée et nuageuse, même alors qu’elle voudrait être sereine, l’instrumentation plus grandiose. On sent que Beethoven a marché plus avant dans les sentiers où il s’était, au début, engagé ; mais si vous me parlez de voie nouvelle, je vous réponds qu’il n’y en a pas trace. Et tenez, soyons francs, les régions où il nous conduit surpassent-elles donc tant en beauté les sites d’autrefois ? En notre âme et conscience d’artiste ressentons-nous, en entendant la neuvième symphonie, une jouissance incomparablement plus haute que celle que les autres nous font éprouver ? Je le nie. Et si l’heure où je l’entends m’est une heure de joie et de bonheur, j’avoue que la symphonie en ut mineur me procure une fête pareille, et que l’émotion qui en résulte est plus pure et plus inaltérée. »

Cette idée d’une filiation ininterrompue dans les intelligences préoccupait Mendelssohn. Il y revient à tout propos dans ses causeries familières ; c’est presque le seul sujet sur lequel il n’admette pas la contradiction, même alors qu’elle cherche à s’appuyer sur des exemples tirés de ses propres œuvres.

« Votre ouverture du Songe d’une Nuit d’été, lui dit un jour son interlocuteur, dépasse, à mon sens, tout ce que vous avez écrit jusque-là. J’y trouve un caractère d’originalité sans égale et ne saurais à laquelle de vos autres œuvres la comparer. On dirait que vous avez voulu nous ouvrir une voie nouvelle. »

C’était vraiment toucher le point sensible, et la réplique ne se fit pas attendre.

« Avez-vous donc oublié ce que je vous ai dit là-dessus, et que ce mot « ouvrir des voies nouvelles » signifie à mes yeux créer d’après des lois plus hautes que celles dont les grands maîtres qui nous ont précédés ont eu la révélation ? Je n’imagine pas avoir dans mon ouverture inventé la moindre maxime. Tous les ressorts que j’ai mis en usage, vous les trouverez dans l’ouverture de Fidelio. Quant aux idées, c’est autre chose : ce sont les idées de Mendelssohn, et non point les idées de Beethoven, tandis que, je vous le répète, les maximes d’après lesquelles l’auteur de la symphonie en ut mineur et moi nous composons sont les mêmes. Qu’est-ce qu’a voulu Beethoven dans son ouverture de Fidelio ? Résumer dans un cadre musi-