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et de crainte du jugement de ses amis, et elle envoyait à Jérôme, à titre de consultation, un long exposé de ses raisons. Jérôme répondit par ce virulent traité contre les secondes noces, dont j’ai cité précédemment quelques passages. Un événement cruel venait de frapper Marcella : Albine était morte, laissant autour de sa fille un vide que rien ne pouvait combler. Jérôme eût désiré qu’elle quittât Rome pour venir vivre avec eux, Eustochium et Paula le souhaitaient encore davantage, et ils résolurent tous trois de lui écrire.

La lettre, composée en commun par Paula et sa fille, eut un double but : attirer près d’elles Marcella, qu’elles aimaient à l’égal d’une mère et d’une sœur, et réfuter certains bruits accrédités à Rome sur la Palestine et en particulier sur Bethléem. Beaucoup de gens en effet, par une feinte pitié pour Paula et principalement dans l’intention de blâmer Jérôme, se plaisaient à représenter Jérusalem comme une ville affreusement laide, dont les monumens ne parlaient point à l’âme, et Bethléem comme un mauvais village, aride, dénué de tout, indigne du séjour d’une patricienne de Rome. Curieuse à ce point de vue, cette lettre, que nous avons encore, ne l’est pas moins par le style, où une légère teinte de pédanterie se mêle à une grâce toute féminine ; mais un petit étalage de science n’allait pas mal aux pieuses émigrées, et devait trouver bon accueil au couvent du mont Aventin.


PACLA ET EUSTOCHIUM A MARCELLA.

« Ce n’est pas une bien sincère affection que celle qui connaît la mesure, ni un bien vif désir que celui qui sait attendre. Excuse-nous donc si nous, tes humbles disciples, songeant plus à ce que nous voulons qu’à ce que nous pouvons, nous osons faire la leçon à notre maître malgré le proverbe : « n’en remontrez pas à Minerve. » Mais aussi n’es-tu pas celle, qui a porté l’étincelle au foyer de nos âmes, et qui, nous réunissant sous ton aile comme des poussins, nous a formées à ton image ? Nous laisseras-tu maintenant sans guide, essayant de voler loin des yeux maternels, apprenant nous-mêmes à découvrir l’épervier et tremblant à l’ombre seule de l’oiseau qui passe ? Nous sentons trop bien que nous sommes seules… Viens donc, rends-nous Marcella, notre suave, notre douce Marcella, à qui nulle douceur et nul miel ne sont comparables. Voudrait-elle n’être dure et renfrognée que pour nous, que son charme et son amitié ont entraînées sur ses pas dans la confraternité de sa vie ?

« Si ce que nous demandons est pour ton bien, et si l’Écriture nous approuve, notre hardiesse est pardonnable. La première parole de Dieu au patriarche Abraham fut celle-ci : « sors de la terre que tu habites, quitte ta parenté, et va dans le pays que je te