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se conformer : c’étaient tantôt une ligne superposée, tantôt des obélisques ou des astérisques. L’obélisque ou virgule suivi de deux points indiquait le retranchement de mots surabondans provenant d’une paraphrase des Septante ; une étoile suivie de deux points signalait au contraire l’addition de quelque passage d’après l’hébreu. Une autre marque désignait les emprunts faits à la tradition de Théodotion, peu différente des Septante quant à la simplicité du langage. « Ce travail, destiné à ceux qui aiment l’étude, ne plaira pas à tout le monde, ajoutait Jérôme dans la préface du Psautier ; mais qu’importe ? Laissons dans leur chagrin superbe ceux qui mettent le dédain au-dessus de la science, et choisissent pour y boire un ruisseau bourbeux, de préférence à la plus pure fontaine. »

En lisant ces curieuses pages, on aime à se représenter les deux nobles matrones attablées devant un vaste pupitre où s’étalent de nombreux manuscrits grecs, hébreux, latins : ici le texte hébraïque de la Bible, là différentes éditions des Septante, les Hexaples d’Origène, etc., et les savantes femmes contrôlant, comparant, mettant au net de leur main, avec piété et joie, ce Psautier de saint Jérôme que nous chantons encore aujourd’hui dans l’église latine. L’esprit alors se reporte involontairement sur leurs palais de Rome, leurs lambris de marbre et d’or, leur armée d’eunuques, de servantes et de cliens, sur leur vie enfin, environnée naguère de toutes les délicatesses de la fortune et de toutes les pompes du rang. Comme Marie, sœur de Marthe, elles croyaient avoir choisi la meilleure part, et elles en jouissaient dans toute la plénitude de leur cœur. Ces douces femmes n’aidaient pas seulement Jérôme dans ses travaux, elles l’assistaient aux heures de ses chagrins parfois imaginaires, de ses persécutions trop souvent réelles. Il appelle fréquemment le baume de leurs consolations sur ses plaies, il met ses livres sous leur défense, il y met son honneur. « Je vous en supplie, leur écrit-il dans sa préface du Livre des Rois, je vous en conjure, chères servantes du Christ, qui, pendant que le Seigneur est à table, versez sur sa tête les aromates de la foi ; vous qui n’allez pas chercher le Sauveur au sépulcre lorsqu’il est ressuscité, assistez-moi ; protégez-moi de vos prières contre la rage de ces chiens qui parcourent la ville, aboyant, calomniant, aiguisant leurs dents pour mieux mordre, de ces ignorans qui font consister leur science à ravaler celle des autres. Défendez-moi de leurs attaques, car vous êtes mon bouclier. »

Ce bouclier ne suffit pas toujours à le couvrir. On lui fit un crime de dédier ses livres à des femmes, « comme si ces femmes, disait-il, n’étaient pas plus compétentes pour les juger que la plupart des hommes ! » Il s’en expliquait quelquefois avec elles en riant » « Les