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cédai. » Ils commencèrent donc à eux trois une lecture complète de la Bible, chacun apportant dans ce travail commun un caractère et des dispositions différentes. Paula, lente à prendre la parole, était prompte à écouter, suivant le précepte de l’Exode, qui dit : « Écoute, Israël, et tais-toi. » Elle savait par cœur les Écritures, et, tout en aimant l’interprétation historique et le sens naturel, qui sont le fondement de leur vérité, elle en recherchait avec passion le sens spirituel, comme plus approprié aux élévations de l’âme. Avec cela, son esprit, difficile à contenter, voulait approfondir chaque chose ; il lui fallait des explications surtout. « Quand j’avouais ingénument mon ignorance, raconte Jérôme, elle ne se rendait pas, elle voulait connaître les opinions des auteurs et mon jugement sur eux. Je dirai encore, dussent les jaloux refuser de me croire, qu’elle avait appris en se jouant et à fond cette même langue hébraïque qui m’a coûté tant de peine dans ma jeunesse pour ne la savoir qu’imparfaitement, et qu’aujourd’hui encore je ne perds point de vue, de peur qu’elle ne me quitte. Et non-seulement Paula savait admirablement l’hébreu, mais elle le prononçait sans une ombre d’accent latin. Sa sainte fille Eustochium, modelée sur elle, arriva à la même perfection. » On comprend par ces paroles comment il pouvait dédier à ses deux amies ses traductions de l’hébreu et invoquer leur témoignage en face du monde et de l’église. Il mettait parfois sous l’autorité de leur savoir la responsabilité du sien. « Paula et Eustochium, leur disait-il dans la préface de sa traduction d’Esther, vous si fortes dans la littérature des Hébreux et si habiles à juger le mérite d’une traduction, revoyez celle-ci mot à mot, afin de reconnaître si je n’aurais rien ajouté ni retranché à l’original, ou si, au contraire, interprète exact et sincère, j’ai su faire passer en latin cette histoire hébraïque, telle que nous la lisons en hébreu. »

J’ai raconté dans un de mes précédens récits comment Jérôme ; à la prière du pape Damase, et pendant qu’il était secrétaire de la chancellerie romaine, avait révisé sur le grec des Septante la Vulgate italique du Psautier, pour en faire, en Italie, la version autorisée et canonique. Cette œuvre importante s’était altérée par sa propagation même ; l’esprit de routine d’un côté, l’ignorance ou l’incurie des copistes de l’autre ; l’avaient défigurée au point de la rendre méconnaissable. Pour l’honneur de Jérôme, il y avait nécessité d’en faire une édition corrigée et avouée par lui. Ses deux amies se chargèrent d’en réunir les matériaux, et cette édition, préparée par leurs soins, est restée comme sienne dans l’église. Nous avons jusqu’aux instructions qu’il leur donna pour ce travail, jusqu’aux règles qu’il leur traça pour l’exactitude de leurs copies, jusqu’à la clé des signes qu’il avait adoptés dans la collation des différentes versions avec son texte, et auxquels ses amies devaient