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contraient d’ailleurs que dans les deux grands midjelès ou cours centrales de justice et d’administration. Au sein des midjelès judiciaires et administratifs de première instance, où ne devaient figurer que les élémens locaux, les Druses, dans deux au moins des trois arrondissemens que comprend leur ancienne caïmacamie, allaient, si le règlement de 1861 était sincèrement appliqué, se trouver seuls en face des différens groupes chrétiens, fort jaloux, à la vérité, l’un de l’autre, mais pour longtemps unis contre eux par la solidarité du massacre. Cette invention de la représentation par communautés, sur laquelle les Turcs comptaient avec raison beaucoup pour achever de désorganiser les chrétiens en étendant les rivalités de rite à tous les détails de la vie civile, devenait ainsi dans la circonstance pour les Druses une nouvelle cause d’infériorité. Tout se tournait contre eux jusqu’à leur impunité même, car les deux milliers et plus de massacreurs que Fuad-Pacha avait aidés, lors de l’expédition française, à s’esquiver dans le Hauran, mais qu’il se gardait bien de rappeler et qu’il y faisait au besoin traquer pour mieux les tenir en défiance et les dégoûter de revenir, formaient l’élite de leurs combattans[1]. C’était sans contredit le tour de force de ce diabolique jeu de bascule si savamment pratiqué par la Porte que d’avoir ainsi combiné avec un refus de réparation qui maintenait dans son intégrité la sanglante dette contractée par les Druses leur affaiblissement politique et militaire et l’avènement officiel des deux élémens chrétiens qui avaient le plus terrible compte à leur demander.

Quel usage Davoud-Pacha allait-il faire de cette nouvelle machine à diviser et à broyer ? Si, ce qu’on donnait à entendre, il était franchement chrétien[2] et imposé comme une expiation aux Druses, le moins que ceux-ci crussent devoir en redouter, c’est qu’il laissât les trois communions chrétiennes se dédommager de concert, par exemple dans les questions d’impôt et de cadastre, dévolues aux midjelès administratifs, de l’ajournement dérisoire des indemnités. Les Druses s’étaient assez édifiés depuis dix mois sur le caractère de la protection turque pour comprendre qu’autant celle-ci se montrait jalouse de les couvrir lorsqu’il s’agissait d’entraver toute composition régulière et équitable entre les deux

  1. Ce n’est point certes par égard pour l’opinion européenne que Fuad-Pacha agissait ainsi. Après les monstrueux acquittemens et les condamnations plus dérisoires encore ou avaient abouti, à la face des cinq commissaires européens, les procès de Mocktara et de Beyrout, les Turcs n’avaient plus à reculer sous ce rapport devant aucun genre d’audace.
  2. Les agens de la Porte le répétaient tout les premiers avec affectation afin de débarrasser Beyrout des milliers de malheureux que le départ des troupes françaises et la réapparition des troupes ottomanes avaient de nouveau chassés de la montagne.