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quablement vus tomber à plat ventre devant une armée vengeresse, eux qui, en pleine fièvre de pillage et de massacre, et lorsque les baïonnettes turques fraternisaient avec leurs couteaux, avaient, comme au temps d’Ibrahim-Pacha, baissé pavillon devant quelques centaines d’Algériens[1], — tout nous donnait assurément beau jeu pour prendre sans coup férir, presque sans bruit, une complète revanche de la trahison européenne de 1840. Comme pour ne pas nous laisser sur ce point l’ombre d’un scrupule, le commissaire extraordinaire de la Porte se chargeait bientôt lui-même d’ouvrir libre carrière à notre action en violant ostensiblement le contrat européen qui, pour la légaliser, était venu après coup la restreindre à un simple concours. Il demeura, on s’en souvient, avéré, dès la quatrième étape de nos colonnes, que Fuad-Pacha entendait faire de l’expédition française, non plus l’auxiliaire d’une œuvre de réparation, mais bien le chaperon et le paravent d’un système préconçu d’impunité. Or, du moment où la Porte se départait et se jetait même en travers du but qu’elle s’était engagée à poursuivre avec nous, à qui la faute si nous l’avions poursuivi sans elle et au besoin contre elle, sans autre limite à notre liberté d’appréciation que le strict maintien de la suzeraineté du sultan ? Au point de simplification où toutes ces circonstances réunies avaient amené les choses, le Liban eût pu être reconstitué et la Syrie entière organisée avant même le réveil des défiances qui vinrent plus tard marchander à l’occupation française une inutile prorogation de trois mois, mais qui alors se seraient estimées quittes à fort bon compte en n’achetant le rappel de nos troupes que par la simple reconnaissance du fait accompli.

Quant au rejet presque absolu de nos idées dans la discussion du règlement de 1861, il ne serait point en second lieu, et si l’on voulait rapetisser la question, sans certains dédommagemens d’amour-propre. L’Europe, si prompte à oublier ses querelles devant cette terrible influence française dont chaque manifestation en Syrie pourrait cependant se compter par des sacrifices, — des sacrifices forcément et sciemment gratuits, — l’Europe n’a peut-être pas pris garde qu’en nous laissant seuls à défendre dans la conférence

  1. C’est au moyen d’une insignifiante garnison de Barbaresques qu’Ibrahim-Pacha avait maté jusqu’à la servilité l’indiscipline et le fanatisme de cette population. Du reste Fuad-Pacha, qui, dans un intérêt facile à comprendre, exagérait avec un empressement presque comique les risques d’un coup de main sur Damas, Fuad-Pacha savait tout le premier à quoi s’en tenir à cet égard, lui qui, sans autre point d’appui que des agens de police indigènes, complices du massacre, et quelques bataillons turcs, au moins sympathiques aux massacreurs, avait si aisément opéré les quelques exécutions, et les milliers d’arrestations que lui imposa l’arrivée de l’expédition française.