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(feudos) de puissantes communautés religieuses et d’anciennes familles nobiliaires, ne sont point stimulés par l’aiguillon de leur propre intérêt, et ce n’est pas chez, eux qu’il faut chercher l’amour du bien public et l’esprit d’association qui pourraient faire entreprendre, grands travaux hydrauliques en vue de l’amélioration des cultures. Il faut ajouter que si les montagnards de l’Etna sont paresseux d’intelligence, ils sont aussi les plus paisibles des Siciliens et n’ont jamais fourni de recrues aux brigands qui pendant les cinquante dernières années ont profité de tous les changemens politiques pour organiser leurs bandes. De nos jours, tandis que des milliers de voleurs de grand chemin parcourent les provinces occidentales de la Sicile et les mettent virtuellement en état de siège, on n’entend point dire qu’un seul crime ait été commis dans tout le district du volcan : les voyageurs étrangers peuvent s’y aventurer tout seuls sans crainte d’être dévalisés. Il y a moins d’un siècle, l’Anglais Brydone parlait avec un effroi simulé sans doute de la férocité des habitans de l’Etna et n’était pas éloigné d’adopter la bizarre opinion de l’abbé della Torre, d’après lequel les exhalaisons sulfureuses du sol auraient développé chez les montagnards tous les instincts du crime. Certes, les Etnéens ne méritaient point qu’on inventât pour eux cette singulière hypothèse ; leurs défauts et leurs vices, quels qu’il soient, sont bien suffisamment expliqués par l’état de servitude, de superstition et d’ignorance dans lequel les populations ont été maintenues, A la fin de l’année 1863, la proportion de ceux qui savaient lire et écrire était pour le district d’Aci-Reale, l’un des plus avancés de la Sicile, d’un homme sur sept et d’une femme sur vingt-trois. Par un contraste qui n’a rien d’étonnant, les églises, sont très nombreuses. On en compte dans le même district cent soixante-dix, non compris les chapelles et les oratoires : c’est un édifice religieux par groupe de quatre-vingts familles.

Les montagnards de l’Etna donnent un triste exemple de leur ignorance et de leur incurie en livrant leurs belles forêts à des spéculateurs qui coupent tous les arbres sans pitié pour transformer les billes en bois de charpente et les branches en charbon. Déjà, sur le versant méridional, là où la plupart des cartes indiquent encore le bosco di Catania et le bosco di Nicolosi, on ne voit plus qu’un petit nombre de troncs oubliés par la hache. A l’ouest, au-dessus. d’Adernò, de Biancavilla, de Bronte, les forêts de pins et de hêtres sont aussi de plus en plus éclaircies, et n’offrent guère maintenant qu’une étroite lisière de verdure entre les noirs escarpement de la cime et les champs diversement cultivés de la partie inférieure du mont. Du côté du nord et du nord-ouest, les magnifiques forêts de Castiglione ont été complètement détruites dès le