Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie de l’île entière, est peuplé néanmoins par un huitième de tous les Siciliens. A proportion égale, la France n’aurait pas moins de 170 millions d’habitans.

Dans un avenir prochain, les trois chemins de fer qui vont rayonner autour de Catane et le nouveau port que l’on doit y construire accroîtront certainement dans une forte proportion le chiffre déjà si considérable des habitans ; mais actuellement c’est à l’agriculture seule que les populations nombreuses de l’Etna demandent leur subsistance, car l’industrie proprement dite est pour ainsi dire nulle dans ces contrées, et le commerce se borne à l’expédition des produits naturels du pays. La fertilité des roches désagrégées de la base du volcan est vraiment admirable ; elle dépasse tout ce que l’on peut voir dans le reste de la Sicile, cette terre pourtant si féconde où la blonde Cérès faisait naître les épis, où Proserpine se couronnait de fleurs. Les vergers de Catane, d’Aci-Reale, de Via-grande, sont de vrais jardins d’Armide. Sur le rivage de la mer, quelques palmiers s’élèvent en groupes, et les agaves des haies dressent leurs hampes chargées de fleurs. Les orangers et les citronniers croissent en forêts autour des villas ; sous les grands oliviers et les figuiers au feuillage étalé, les rangs pressés de la vigne, du coton, du sumac, et les nappes onduleuses du froment, fournissent aussi leurs récoltes, et toutes de qualité supérieure. Les vins de Misterbianco et de Motta, ceux de Bronte, que l’on expédie en Angleterre sous le nom de Marsala, sont des crus exquis ; les oranges, les figues, les amandes, tous les autres fruits obtenus sur le terrain des laves, se distinguent par leur parfum ; le coton de Biancavilla est le meilleur de toute l’Italie. Les arbres cultivés à cause de leur bois ou pour la beauté de leur branchage atteignent des proportions magnifiques. Personne n’ignore ce qu’était autrefois le grand châtaignier des forêts de Carpinetto, ce géant du monde végétal, dont le tronc avait plus de 60 mètres de circonférence, et sous lequel cent cavaliers se mettaient à l’abri. Actuellement cette antique merveille de la Sicile n’est plus qu’une déplorable ruine, et, malgré le témoignage indiscutable de plusieurs documens historiques, nombre de voyageurs se refusent à reconnaître dans ce débris l’arbre colossal que représentaient les gravures du dernier siècle. On arrive sans le savoir au beau milieu de ce qui fut le « châtaignier des cent chevaux. » Un chemin creux, qui pendant les pluies sert de lit aux ruisseaux temporaires, passe précisément à l’endroit où se dressait jadis la partie centrale du gigantesque fût. A gauche du sentier s’élève un tronc isolé, au bois encore sain ; à droite se trouvent deux autres troncs évidés à l’intérieur par le feu des pâtres et la hache des bûcherons. Ce sont là