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pace compris dans l’enceinte du val del Bove offre l’image d’une mer aux flots noirs qui se seraient solidifiés en pleine tempête. Au milieu de ce chaos, des monticules d’éruption et les débris d’anciennes parois de la montagne se dressent comme des îles dans l’océan. Les tortueux courans de lave, diversement entremêlés, inclinent tous leur surface rugueuse dans la direction de l’est, puis, arrivés à l’arête de rochers qui forme le seuil du cirque supérieur, plongent en manière de cataracte pour descendre dans un deuxième bassin qu’entourent également de hautes parois rocheuses : c’est le val de Calanna. Le Niagara de laves, dont les nappes inégales indiquent par la couleur plus ou moins foncée l’âge relatif des fleuves de pierre, n’a pas moins de 120 mètres de hauteur, et, comme la grande chute de la rivière américaine, il est divisé par un rocher pyramidal en deux bras de largeur différente. Au-dessous du talus, les cheires, entourant çà et là quelques prairies, se dirigent vers le défilé de Porta-Calanna pour s’étaler ensuite dans les campagnes de Milo et de Zaffarana. C’est par cette issue que passèrent en 1852 et en 1853 les grands courans de matières fondues sorties de la région supérieure du val del Bove ; c’est aussi par là que s’écoulent les torrens d’inondation après les fortes averses ou lors d’une rapide fonte des neiges.

La vaste dépression du val del Bove et les ruines des rochers qui en forment les parois prouvent que cette partie de la montagne a été le théâtre de violentes révolutions. MM. Lyell et de Waltershausen ont découvert dans l’angle méridional du cirque un cratère oblitéré, hors duquel des courans de laves rayonnent vers tous les points de l’horizon. Cette ancienne bouche, connue depuis les travaux des savans géologues sous le nom de « bouche de Trifoglietto, » se trouvait à 5 kilomètres en ligne droite au sud-est du cratère qui n’a cessé de rester ouvert au sommet du grand cône terminal, et communiquait sans aucun doute avec la même crevasse du foyer des laves. Elle se ferma probablement à la suite de quelque terrible catastrophe qui fit crouler les voûtes du volcan et creusa l’énorme gouffre d’effondrement qui échancre tout le versant oriental de l’Etna. Toutefois le cratère du Trifoglietto, éteint depuis une période géologique antérieure à notre histoire, pourrait bien se rallumer quelque jour et faire de nouveau jaillir son grand cône d’éruption au-dessus des précipices du val del Bove. Sans redouter un pareil cataclysme, les Etnéens bâtissent avec confiance leurs maisons de campagne jusque dans des cônes de cendres voisins et transforment en vergers les anciens cratères. Le Monte-Ilici, qui flanque la paroi méridionale du val del Bove, porte une charmante petite oasis dans le creux de sa, cime ; sa gueule d’éruption est transformée en une coupe de fleurs.