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toutes les côtes de la Sicile. A diverses hauteurs au-dessus de la base maritime du volcan, on en voit d’indiscutables témoignages consistant en dépôts de coquilles de l’époque actuelle, en plages de cailloux roulés et en lignes d’érosion ; mais, quoique ces indices soient d’origine tout à fait moderne relativement à l’incalculable succession des âges, ils ne nous en rejettent pas moins à un nombre très considérable de siècles en arrière. L’Etna est, il est vrai, une des montagnes les plus jeunes de la terre ; toutefois, si l’on suppose, d’après les données plus ou moins approximatives fournies par les éruptions les plus récentes, que le volcan vomisse en moyenne pendant le cours de chaque siècle la masse d’un milliard de mètres cubes de laves et de cendres, il ne lui aurait pas fallu moins de quatre cent mille années pour faire surgir du sein des eaux l’amas de roches et de débris qui constitue le dôme actuel de l’Etna. Déjà Recupero, l’un des premiers historiens de cette montagne, était arrivé, par l’examen des sept couches de lave superposées qui forment les falaises d’Aci-Reale, à la conviction que la coulée inférieure datait au moins de quatorze mille ans ; mais le bon chanoine, redoutant la colère de l’évêque de Catane, se garda bien de publier cette opinion hérétique, et se contenta d’en faire part en cachette à ses amis.

Pour se faire une idée vraie de la grandeur de l’Etna, il ne suffit point de regarder le magnifique décor que forment, vues du pittoresque théâtre antique de Taormine, les campagnes de sa base, sa masse énorme et sa bouche fumante, il faut aussi contempler sous toutes ses faces cette puissante montagne, dont le pourtour inférieur, deux fois plus considérable que celui du Chimborazo, n’a pas moins de 180 kilomètres. L’Etna est plus qu’un simple volcan, c’est toute une région géographique. Bien que ses versans aient en général une inclinaison beaucoup plus régulière que celle des monts d’une autre origine, ils offrent une étonnante variété d’aspects, et chaque détail accroît l’idée que l’on s’était faite de la beauté grandiose de l’ensemble.

Du côté du nord, où, durant les derniers âges, l’activité volcanique a été moindre qu’ailleurs, les pentes qui se redressent, au-dessus de la haute vallée de l’Alcantara sont en grande partie recouvertes de bois des mêmes essences que ceux de l’Europe centrale. Là, comme dans nos forêts, prospèrent le châtaignier, le chêne, le hêtre, le bouleau, le pin ; de beaux pâturages occupent les clairières ; les champs cultivés en céréales sont ombragés de noyers ; un lac étale ses eaux bleues dans une dépression du terrain et sépare les bassins du Simeto et de l’Alcantara, vers lesquels se penchent les gracieux vallons de la chaîne neptunienne :