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derniers siècles seulement, plus de soixante-quinze éruptions ont ou lieu, et dans le nombre il en est dont les coulées n’ont pas eu moins de 20 kilomètres de longueur et qui ont recouvert de laves des espaces de plus de 100 kilomètres carrés, jadis parfaitement cultivés et semés de villes et de villages. Dans les âges antérieurs, des milliers d’autres coulées de basalte et d’autres cônes de cendres ont graduellement exhaussé et prolongé les pentes de la montagne. Le massif du mont Etna, dont le volume total est incomparablement supérieur à celui de chacun des fleuves de pierres vomis de son sein, qu’est-il donc autre chose, du sommet à sa base et jusque dans ses. profondeurs sous-marines, que le produit d’éruptions successives lançant au dehors les matières fondues de l’intérieur ? C’est le volcan lui-même qui a lentement élevé les parois de son cratère, puis ses longues pentes hors des eaux de la mer Ionienne, et qui, par de nouvelles couches de laves et de scories incessamment ajoutées aux précédentes, a fini par se dresser dans la région des neiges et par devenir, ainsi que le disait Pindare, le grand « pilier du ciel. »

Telle est la théorie la plus simple, et, paraît-il, la meilleure. Non-seulement elle s’impose tout naturellement à l’esprit des observateurs ordinaires, mais aussi la plupart des savans, depuis de Saussure et Spallanzani jusqu’à MM. Lyell et Poulett Scrope, ont été conduits par leurs recherches à l’adopter complètement. Il est vrai que M. Élie de Beaumont, acceptant les idées de Léopold de Buch sur les cratères de soulèvement, avait émis sur la formation de l’Etna une hypothèse toute différente. D’après cette théorie, qui a déjà été exposée dans la Revue avec une remarquable clarté[1], le volcan n’aurait sa forme actuelle que depuis une époque géologique tout à fait récente ; les anciennes couches de lave, vomies par une multitude d’orifices temporaires, se seraient déposées en nappes sur une plaine basse, en nappes horizontales ou suivant des pentes peu inclinées, puis un paroxysme soudain des matières comprimées de l’intérieur aurait redressé d’un coup toutes-ces couches en forme de dôme, ouvert un cratère permanent, et créé la montagne telle que nous la voyons aujourd’hui.

M. de Beaumont appuyait principalement ces diverses suppositions sur ce fait, que la plupart des strates de lave dont on voit la tranche sur les parois de l’immense cirque du val del Bove sont très fortement inclinées. Or, d’après l’éminent géologue, d’épaisses nappes de matières fondues ne peuvent couler sur des pentes rapides sans se réduire aussitôt, par suite de l’accélération de leur

  1. Voyez l’étude de M. de Quatrefages sur l’Etna dans la livraison du 1er juillet 1847.