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le plaisir de contempler à leur aise la splendide horreur de l’incendie.

A la fin du mois de mars, les montagnards croyaient que l’éruption était complètement terminée et ne faisaient plus attention aux fumées de vapeur et de cendres qu’ils voyaient jaillir du flanc de l’Etna, lorsque tout à coup la source de lave commença de couler avec une nouvelle violence. C’est du côté de l’ouest, là où le fleuve de matières liquides n’avait encore projeté que des bras peu considérables, que s’épancha le grand courant, tout l’espace compris entre les cratères du plateau et les anciens cônes d’éruption, connus sous les noms, de Cavacci et de Tre-Monti[1], fut transformé en un lac de feu ; le Monte-Cavacci lui-même fut enveloppé et changé en île, comme l’avaient été précédemment déjà le Monte-Stornello et d’autres buttes de scories ; le ravin de Linguagrossa, qu’avait protégé jusqu’alors un large renflement du sol, fut envahi par la coulée, et les riches cultures de cette commune furent menacées. Ce nouvel épanchement des laves eut lieu d’une manière tellement imprévue et tellement rapide que les bûcherons n’eurent pas même le temps d’emporter les planches et de faire rouler au bas des talus les bois de charpente que leur avait fournis la lisière de forêt qui longeait les bords du courant. Un grand nombre de troncs qu’on n’avait point encore abattus furent également calcinés. Il ne resta debout que des massifs pittoresques de pins croissant sur de hauts remparts d’anciennes laves et sur les monticules situés au-dessus du niveau de l’inondation.

L’aspect du courant de lave, tel qu’il se montre aujourd’hui recouvert de son enveloppe de scories encore brûlantes, est à peine moins remarquable que ne l’était la vue des matières liquides en mouvement. La surface noire ou rougeâtre de ce courant ou cheire est toute hérissée de saillies aux arêtes tranchantes qui ressemblent à des escaliers aux marches inégales, à des pyramides, à des colonnes tordues, et sur lesquelles on ne peut s’aventurer que très difficilement, au risque de se déchirer les pieds et les mains. D’ailleurs la poussée intérieure de la pierre fondue, qui, en brisant la croûte dans tous les sens, a fini par lui donner ce profil rugueux, n’a pas complètement cessé d’agir d’une manière visible. Ça et là des lézardes de la roche permettent d’apercevoir comme à travers un soupirail la lave liquide et rouge qui se gonfle et s’écoule lentement au dehors à la manière des corps visqueux. On entend incessamment un cliquetis métallique provenant de la chute des scories qui se brisent sous la pression des matières fluides ; parfois des

  1. Ce sont les Due-Monti de la carte de M. de Waltershausen.