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ou bien une ville libre sous le protectorat de la chrétienté. Ce serait le grand acte du siècle, un grand acte d’alliance, et ce mot d’entente cordiale, si souvent employé à faux, serait une vérité. Quel avenir pourrait en résulter pour l’église tout entière ! La déplorable étroitesse des communions chrétiennes d’Orient disparaîtrait enfin devant les rayons d’une nouvelle vie religieuse que répandraient nécessairement les légions inspirées des pèlerins d’Europe. C’est à Jérusalem qu’on verrait se reformer l’unité du christianisme. Les peuples, comme des troupeaux séparés, s’y retrouveraient au bercail. Un nouvel évangile y serait annoncé au monde, l’évangile de la paix de l’église. » Ce sont là de nobles espérances ; mais M. Tischendorf ne se paie-t-il pas de belles paroles au lieu d’aller au fond des choses ? Ne répète-t-il point ce que disent les publicistes mystiques de la sainte Russie, les disciples moscovites de Joseph de Maistre, et les hommes beaucoup moins enthousiastes qui font de cette exaltation un instrument politique ? Peut-il oublier enfin que ces pèlerins d’Europe seraient surtout des pèlerins russes, ces pèlerins si nombreux, si ardens, si inspirés, et pour lesquels le tsar Alexandre II fait construire en ce moment même toute une cité, la Jérusalem nouvelle à côté de l’ancienne ? La première pierre, — c’est M. Tischendorf qui nous l’apprend dans un autre passage, — a été posée en 1860 au nom de l’empereur de Russie avec l’autorisation du sultan.

Certes il y a de belles qualités chez le peuple russe ; c’est une race naïve et cordiale. « Je n’ai rien vu de barbare dans ce peuplé, écrivait Mine de Staël ; au contraire, ses formes ont quelque chose d’élégant et de doux qu’on ne retrouve point ailleurs. » Mme de Staël ne parle pas des boyards, des employés, de tous ceux qui ont exercé ou subi le despotisme ; elle parle de la race, de la sève première, le paysan et le soldat. Nous pouvons ajouter aujourd’hui que les princes eux-mêmes font preuve de rares mérites ; on les voit racheter par les vertus domestiques les désordres et les crimes d’autrefois. Le grand-duc Constantin, tel qu’il nous apparaît dans le récit de voyage de M. Tischendorf, est vraiment digne de sympathie et de respect. Cette piété, ce savoir, cette ouverture de cœur, tout cela est noble et touchant. J’aimerais, avec un guide comme le théologien de Leipzig, suivre le prince à son retour ; j’aimerais à suivre en même temps les destinées du Codex Sinaiticus. Après les dix jours passés à Jérusalem, le prince et le savant se séparent. D’un côté, voici le grand-duc à Constantinople ; nouvelles fêtes, nouveaux honneurs, empressemens inaccoutumés et contraires à la vieille étiquette ottomane : la grande-duchesse par exemple est invitée à dîner au sérail, chose inouïe jusque-là, et