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sainte, le grand-duc mit pied à terre devant la porte de Jaffa. Toutes les rues étaient jonchées de feuilles de roses et parfumées d’essences. L’évêque russe, entouré de son clergé, fut le premier à complimenter les hôtes de Jérusalem. Toutes les fenêtres, toutes les terrasses, tous les toits des maisons étaient garnis de spectateurs. La vieille tour de David, enfermée aujourd’hui dans la citadelle turque, envoyait aux arrivans les saluts de l’artillerie. Le noble couple se fit conduire immédiatement à l’église du Saint-Sépulcre, où le patriarche grec, debout sur le seuil, avec ses ornemens pontificaux éblouissans d’or et de pierreries, environné des dignitaires de son église, accueillit solennellement le frère du tsar Alexandre. Et ce n’était pas seulement le frère d’un empereur qu’on fêtait ainsi à Jérusalem ; le patriarche, saluant les trois membres de la famille impériale, rappelait que cette famille était la protectrice de la sainte église par qui est maintenue la foi à la divine trinité. Voilà certes un rapprochement auquel on ne s’attendait pas : la trinité princière auprès de la trinité céleste ! Que cette image appartienne au mystique patriarche ou bien au narrateur ébloui, elle n’en est pas moins un curieux témoignage de l’exaltation moscovite et de sa contagieuse influence sur la terre d’Orient. Après la bénédiction, le patriarche conduisit les illustres pèlerins « dans les deux endroits les plus saints de l’univers, au lieu où le Sauveur expira sur la croix, puis au sépulcre où reposa son corps, » pendant que le clergé grec de la cathédrale chantait à pleine voix les strophes éclatantes du Te Deum. Le vieillard conduisit ensuite ses hôtes dans le Patriarchat, dont les vastes salles avaient été spendidement décorées. Ce fut là aussi, et dans le cloître grec attenant à la demeure du patriarche, que l’escorte du prince fut logée.

Cette entrée grandiose dans la ville sainte, honneur que n’avait eu aucun prince chrétien depuis les croisades, « était d’autant plus significative, dit M. Tischendorf, que ce magnifique ensemble de fêtes, d’hommages, de cérémonies, était dû au concours spontané des influences les plus diverses. » N’était-ce pas le sultan lui-même qui avait mis un bateau à vapeur à la disposition du patriarche pour qu’il pût se rendre de Constantinople à Jaffa et recevoir le grand-duc à Jérusalem ? N’était-ce pas avec une sorte d’élan que le patriarche et tous les dignitaires de l’église grecque s’étaient portés au-devant du prince ? Et ces pèlerins russes, et ces juifs, et ces mahométans, qui donc les avait rassemblés ainsi ? Le doigt de Dieu. Le prince aurait mieux aimé faire son entrée humblement, silencieusement, tout entier à son émotion et à ses prières, c’est ce qu’il disait le lendemain dans un petit cercle d’intimes ; mais cette manifestation qu’il eût voulu éviter, d’autres, s’écrie M. Tischendorf,