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assez pacifique des contrées qu’il désolait naguère, après bien des scènes de ce genre, où les souvenirs de la Bible et, les réalités musulmanes forment une confusion orientale des plus pittoresques, nous arrivons enfin avec l’auteur aux portes de la ville sainte, où son enthousiasme moscovite va se donner librement carrière.

D’abord, à quelque distance de la ville sainte, s’avança le patriarche grec, vénérable vieillard à tête blanche, heureux de donner au prince sa bénédiction. Béni soit, dit-il d’une voix émue, — et cette formule, adressée à de pareils hôtes, avait une signification qui devait leur plaire, — béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Un peu plus loin, on vit apparaître le patriarche d’Arménie, l’évêque de Syrie, une députation du clergé copte et abyssin. Plus loin encore, aux abords de la ville, trois tentes avaient été dressées pour les cérémonies de la réception officielle. Les nobles voyageurs avaient pris soin de changer de costumes. Au moment où le grand-duc, portant l’uniforme d’amiral avec le cordon bleu de Saint-André, conduisit la grande-duchesse et son jeune fils dans la tente, du pacha gouverneur de Jérusalem, des salves d’artillerie éclatèrent au milieu des roulemens des tambours et des fanfares des clairons. Les consuls de France, d’Angleterre, d’Autriche, de Prusse, d’Espagne, l’évêque anglican, les premiers ulémas de Jérusalem étaient rassemblés autour du pacha et furent présentés au grand-duc. Les rabbins juifs eux-mêmes n’avaient pas voulu refuser leur hommage à celui qui venait visiter le tombeau du crucifié ; modestement établis au seuil de la ville dans une petite tente d’étoffe tramée d’or, ils le saluèrent au passage. « Mais ce n’était pas le public des tentes, s’écrie M. Tischendorf, qui était le plus nombreux, ce n’était pas la réception officielle qui était la plus touchante. Déjà, depuis une demi-heure, la caravane s’était grossie d’une multitude de pèlerins venus à notre rencontre. On reconnaissait à leurs yeux mouillés de larmes les pèlerins moscovites ; quelle joie, quelle émotion chez eux de trouver tout à coup le frère de leur empereur amené en terre sainte par le même sentiment qui les y avait conduits ! » Au sortir des tentes, le cortège fut enveloppé par les flots de la foule ? on apercevait des turbans de toute forme et de toute couleur, turbans chrétiens, juifs, mahométans, parmi lesquels apparaissaient çà et là les chapeaux européens et les toques polonaises. Ici c’étaient des groupes de femmes vêtues de blanc et voilées, dans une attitude recueillie, là des jeunes filles qui jonchaient de fleurs le chemin de la grande-duchesse. Peu s’en faut, en vérité, que M. Tischendorf ne nous représente la scène comme l’entrée d’un sauveur à Jérusalem. Fidèle cependant à un pieux usage des princes chrétiens, qui, depuis Godefroy de Bouillon, ne sont pas entrés à cheval dans la ville