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succès ; mais les impétueuses filles de l’Italie n’ont, quand elles aiment, ni ces calculs, ni cette dignité. En revanche, elles ont des forces vraiment viriles : c’est plaisir de voir cette vigoureuse Romaine, quand son amant est blessé et inerte sur le sol, l’emporter à elle seule dans la coulisse, sauf, lorsqu’elle aura succombé, à déclamer comme son frère, à parler à tout instant d’honneur et de mort, à invoquer à toute parole la protection de la Vergine purissima, quoiqu’elle ait, ce semble, perdu tout droit à ce chaste et saint patronage.

Telle est Zita, l’ouvrière de Narni ; quant au châtelain Rogiero, il ne serait, dans les premières scènes, qu’un vulgaire Lovelace sans un trait d’une hardiesse peu propre ailleurs qu’en Italie à séduire une jeune fille. Pour épouser Zita, il tuera, dit-il, son propre père ; il le répète sans crainte de faire horreur à celle qu’il veut séduire, ou de lui inspirer des doutes sur la sincérité de semblables déclarations ; mais où il devient un caractère, C’est quand l’action se hâte vers le dénoument. Le père de Rogiero, qui, soi-disant, s’opposait seul au mariage, est mort depuis trois années. Rogiero est maître de ses actes, Zita séduite est sur le point de devenir mère, et cependant il résiste à ses supplications, Il lui signifie froidement que jamais il ne l’épousera. Vous croyez qu’il recule devant les explications ? Il les donne au contraire avec une précision qui ne laisse rien à désirer. Cette cruelle précision, ce langage sévère dans la bouche d’un débauché, d’un séducteur, et s’adressant à la personne séduite, n’est-ce pas le comble de l’horrible ? Il est douteux qu’un tel personnage pût être supporté à la scène ; mais observez-le avec l’attention qu’il mérite, et vous trouverez dans cette âme glacée de reptile des traits qui nous ramènent au XVIe siècle, qui rappellent les préceptes de Machiavel et de Guicciardin, les pratiques d’Alexandre VI et de César Borgia. il ne manque à Rogiero que l’honneur d’empoisonner Zita : c’est un soin dont se charge Folco, le chef de brigands.

Voilà des peintures véritablement italiennes ; mais, hâtons-nous de le dire, elles nous représentent l’Italie telle que nous la montre l’histoire, non telle qu’elle parait chaque jour davantage au soleil de la liberté. Sans doute on retrouverait encore des Folco, des Zita, des Rogiero, mais en petit nombre et seulement aux deux extrémités de l’échelle sociale, parmi ces couches profondes de la population où la lumière pénètre avec tant de peine, et dans les rangs d’une aristocratie aujourd’hui fort divisée, parmi les rares hobereaux qui regrettent le moyen âge et les libertés dont leurs pères y jouissaient seuls. Le travail un peu déclamatoire, mais après tout saisissant de M. Oliari nous paraît venir à son heure, car il est bon de prendre, à leur lit de mort, le portrait des personnages curieux qui vont disparaître à jamais.


F.-T. PERRENS.


V. DE MARS.