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penses quand on n’est plus au collège. Elles ont de l’efficacité sans doute pour l’enfant, dont elles stimulent l’ardeur et l’expansive émulation, à qui elles montrent en perspective cette fête du grand concours où M. Duruy faisait entendre l’autre jour de virils encouragemens à la jeunesse ; elles sont de cet âge ingénu où tout devient un aiguillon. Au-delà de l’enfance, quand le grand concours c’est la vie elle-même, que peuvent les récompenses ? Elles sont un ornement flatteur, une apparence de décoration, une médaille ; elles donnent le droit de mettre sur un livre : « ouvrage couronné par l’Académie française, » Jamais, je le crois bien, elles n’ont produit ni une bonne action ni une œuvre supérieure de l’esprit ; jamais elles n’ont incliné un cœur honnête au bien ou provoqué l’essor d’une imagination originale ; jamais en un mot elles n’ont eu la puissance qui engendre le génie ou la vertu. Et il y a mieux : ni la vertu ni le talent ne seraient ce qu’ils sont, s’ils cessaient de procéder de l’inspiration la plus intime et la plus indépendante, s’ils perdaient leur caractère de spontanéité et de désintéressement pour devenir une affaire de récompenses publiques avec prix et accessits. C’est ce qui fait une idée si bizarre de l’idée en apparence si naturelle et si simple du généreux M. de Montyon, qui a imaginé de laisser un budget d’encouragement pour le mérite sous toutes les formes, et chargé l’Académie française de l’administration de ce budget. M. de Montyon, tout plein de l’esprit de son siècle, obéissait évidemment à une pensée bienfaisante et inefficace : il créait une institution utile sans doute dans une certaine mesure, honorable dans tous les cas, mais, si l’on me passe le terme, dénuée de toute puissance reproductive, souvent plus favorable à la médiocrité et au calcul qu’aux véritables élans de l’esprit ou du cœur.

Pour l’esprit, passe encore. A défaut de l’originalité, qui est la vie des lettres, qui ne trouve qu’en elle-même son inspiration et sa force, l’Académie peut provoquer des travaux utiles, des études discrètement méritoires, ou récompenser d’honorables essais, et à toute extrémité elle a toujours la ressource d’élargir ses programmes pour y faire entrer des œuvres souvent étonnées de se trouver ensemble ; mais pour la vertu, c’est là qu’est la difficulté. Imaginez donc un prix de dévouement, un prix d’amour de l’humanité, des accessits d’honnêteté et de vertu ! imaginez quelque brave personne venant recevoir la médaille pour avoir secouru ses semblables, pour avoir senti s’allumer en ville cette flamme de charité qui, comme l’esprit, souffle où elle veut ! Ici le retentissement est presque une diminution du mérite moral, presque une offense à la délicate pudeur de l’héroïsme inconnu, et il risque plutôt de devenir un encouragement aux bonnes actions intéressées, à la fausse vertu. Il ne manquerait plus, pour compléter ce concours supérieur, que d’y ajouter des concours régionaux. et d’organiser une vaste machine destinée à procréer la vertu par la voie des mécanismes administratifs et des récompenses honnêtes ! Heureusement l’Académie dans la pratique réduit du mieux qu’elle peut les incon-