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lundi ; le samedi suivant, M. Tischendorf arrivait à Suez, et le dimanche au Caire. Le prieur n’était pas encore parti pour Constantinople. Tout fut réglé avec une promptitude d’action où se reconnaissent l’impatience et l’entrain du savant de Leipzig. Un Bédouin accoutumé à servir les moines et qui avait toute leur confiance est chargé de partir avec un message et de rapporter le manuscrit. La promesse d’une bonne récompense lui donne des ailes ; en neuf jours (la chose, dit M. Tischendorf, ne paraîtra point croyable), du 15 au 23 mars, le Bédouin, monté sur son dromadaire, traversa deux fois le désert égyptien ainsi que le désert arabique ; en neuf jours il alla du Caire au Sinaï et du Sinaï au Caire. Enfin voilà le manuscrit arrivé ; les copistes sont à l’œuvre ; M. Tischendorf s’est adjoint deux de ses compatriotes installés sous ses yeux ; occupé-lui-même à transcrire sa part, il surveille, il dirige ses aides, il répond à leurs questions et résout les difficultés. Pendant deux mois et plus, le pèlerin de la science resta ainsi cloué sur sa chaise à l’Hôtel des Pyramides. Vainement la brise printanière se jouait à sa fenêtre, vainement sur la place les chevaux, les dromadaires, le mouvement de la vie européenne mêlée aux choses de l’Orient, les mille bruits et les mille tableaux de ce grand caravansérail sollicitaient l’attention du touriste ; sourd à toutes les clameurs, insensible à tous les prestiges, il ne voyait que les lettres saintes tracées il y a quinze cents ans par des mains fidèles, il n’entendait que la voix intérieure répétant sans cesse : « Ne te lasse pas ! encore une ligne, encore une page ! La science chrétienne attend de toi cette offrande, le texte le plus ancien du livre où a été consignée la bonne nouvelle. »

C’était donc bien là le plus ancien texte de l’Évangile, M. Tischendorf se demande, au milieu de ses effusions, si le lecteur comprendra son extase. Il faut une certaine initiation en effet pour s’y intéresser. Le but de la critique philologique appliquée à la théologie étant de débarrasser le texte sacré des erreurs, des corrections maladroites, des interpolations volontaires ou fortuites, bref de tout ce que la main des hommes a pu y ajouter dans le cours des âges, nos meilleurs guides en cette délicate étude étaient jusqu’en 1859 trois manuscrits du IVe et du Ve siècle : le fameux manuscrit du Vatican, un manuscrit de Londres connu sous le titre d’Alexandrin, et enfin un manuscrit de Paris appelé le palimpseste de saint Éphrem. Or aucun de ces manuscrits n’est complet. Le manuscrit de Paris ne contient qu’une moitié du Nouveau Testament ; il manque au manuscrit de Londres tout le premier évangile, deux chapitres du quatrième, et presque toute la seconde épître de saint Paul aux Corinthiens ; quant au manuscrit du Vatican, le plus ancien