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ce que renfermaient ces pages ; il y en avait trois cent quarante-six, et du format le plus grand. Outre vingt-deux livres de l’Ancien Testament presque tous complets, c’était le Nouveau Testament tout entier sans la moindre lacune, puis l’Épître de Barnabé et la première partie du Pasteur d’Hermas. Dans l’impossibilité de fermer l’œil, je me mis à transcrire immédiatement l’Épître de Barnabé en dépit d’une mauvaise lampe et de la froide température ; je bondissais de joie en pensant que j’allais faire don à la chrétienté de ce texte vénérable. La première partie de cette épître n’était connue jusqu’ici que par une traduction latine très défectueuse, et si on avait pour la seconde quelques manuscrits en langue grecque, c’étaient des manuscrits de date récente et n’inspirant qu’une confiance médiocre. Cependant l’église des IIe et III« siècles accordait volontiers à cette lettre, inscrite sous le nom d’un apôtre, le même rang qu’aux épîtres de saint Paul et de saint Pierre. Outre l’Épître de Barnabé, je transcrivis encore dans le cloître des fragmens du Pasteur, ouvrage non moins considérable aux yeux de la primitive église. »


M. Tischendorf savait par expérience combien les moines du Sinaï étaient peu disposés à vendre leurs manuscrits : il ne voulut pas demander autre chose que la permission de copier le texte de la première page à la dernière ; mais comment oser entreprendre un pareil labeur dans le cloître même, c’est-à-dire sans aide et sans ressources ? Ce texte ne comprenait pas moins de cent vingt mille lignes, et le calligraphe d’Alexandrie qui les avait tracées au IVe siècle y avait certainement employé plus d’une année. L’idée lui vint d’accomplir son œuvre dans l’une des villes les plus rapprochées, au Caire par exemple. Il fallait encore une autorisation pour emporter le manuscrit, et le prieur du couvent venait précisément de se mettre en voyage quelques jours après l’arrivée du théologien de Leipzig ; on avait appris la mort du patriarche de Constantinople, le vieil archevêque Constantios, âgé de cent ans, et le prieur du couvent du Sinaï n’avait pu se dispenser de se rendre dans la capitale de l’empire pour l’élection du nouveau patriarche. M. Tischendorf n’avait qu’un parti à prendre : retourner immédiatement au Caire, où il courait la chance de rencontrer encore le prieur, s’adresser à lui ou bien aux autres dignitaires de l’ordre (car c’est au Caire que se trouve la maison mère des religieux du Sinaï), obtenir enfin le privilège d’emporter pour quelques mois le manuscrit en question ; si toutes ces démarches étaient vaines, il reviendrait bravement au Sinaï, résolu à transcrire le texte avec ou sans aides, dût-il y passer l’année entière.

Le 7 février 1859, au lever du soleil, le Bédouin Nazar, avec ses gens et ses chameaux, était devant la porte du couvent. Les religieux accompagnent le voyageur jusqu’à l’entrée du désert, et la caravane se met en marche. On ne perdit pas une minute, C’était un