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avec le timbre en ce pays, — Jean le Paysan vivait aux champs, tout doucement, bien tranquille, à l’aise. — Avant qu’ils s’en retournassent chez eux, il y avait eu du trouble dans nos quartiers ; — il en avait coûté à nos coûté à nos bourses de faire habiller de neuf nos gaillards ! « Mes amis, si ce n’est pas faux ce que racontent les vieillards, — du temps de la duchesse Anne on ne nous traitait pas ainsi ! »


III

Pendant que, de tous les côtés, la Basse-Bretagne était agitée et près de s’enflammer, la ville de Rennes semblait assoupie, mais les mécontens n’attendaient qu’une occasion. Le duc de Chaulnes broyait pourtant les esprits calmes, et il était parti le 4 juillet pour apaiser les troubles de la province. Quelques missionnaires dont il s’était fait accompagner avaient d’abord été mal reçus, et ils furent même obligés de déclarer, par-devant notaire, que nul ne devait prétendre aucun droit nouveau. Ils rendirent plus tard de véritables services au gouverneur. Cependant son départ de Rennes avait été le signal de nouvelles émeutes. Le 17 juillet, à la suite d’une querelle entre les employés du papier timbré et un clerc de procureur, les bureaux furent envahis, pillés, dévastés. La milice, étant intervenue, tua l’un des séditieux, en blessa quelques autres, et se mit aux ordres du gouverneur, qui, n’ayant plus de bureau de papier timbré à protéger, l’aurait, dit-on, remerciée. Abandonnés à eux-mêmes, les faubourgs étaient devenus l’effroi des nobles et des bourgeois. « Les bons habitans, dit un contemporain, sont tellement dans la crainte des tumultuaires qu’ils n’osent sortir de leurs maisons, menacés qu’ils sont par une populace vagabonde et libertine. » Un jour cette population tua les chevaux d’un gentilhomme qui se promenait en voiture, une autre fois elle lança un chat pourri dans le carrosse de la duchesse de Chaulnes qu’elle détestait, en même temps un coup de fusil brisa l’épaule d’un de ses pages. De pareilles insultes n’étaient pas de celles qu’on oublie, mais, faute de répression immédiate la révolte s’étendait. Vers le 20 juillet, les paysans saccageaient et incendiaient les environs de Fougères ; des employés du tabac étaient massacrés près de Lamballe, tandis que dans l’évêché de Tréguier des bandes de bonnets rouges couraient les campagnes et menaçaient encore une fois Guingamp. Le dimanche 21, deux mille paysans du duché de Rohan pillèrent la maison d’un employé de Pontivy et brûlèrent son papier timbré. Dans la Cornouaille, que le duc de Chaulnes avait d’abord visitée et croyait pacifiée, le mouvement fut plus vif encore. Le propriétaire du château de Kergoët avait approuvé les nouveaux impôts ; il était