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guerre rendaient impossibles. Moins personnel et plus humain, le premier président supplia Colbert (21 juin) d’ajourner les nouveaux impôts à la réunion des états, seul remède à la situation Originaires de la province, affectés comme tout le monde par les contributions extraordinaires blessés du peu de cas que l’on faisait de leurs vieux privilèges, les membres du parlement étaient au fond très hostiles au duc de Chaulnes, qui ne l’ignorait pas et ne se faisait pas faute de les dénoncer. Après les troubles de Nantes et de Guingamp, il leur avait enlevé le jugement des rebelles, qui furent livrés à des commissions militaires. Ils refusèrent, quand il les en pria, d’intervenir auprès des mutins, annonçant l’intention d’envoyer des députes à la cour pour représenter la misère du pays et réclamer la suppression des édits. Le premier président lui-même était de cet avis, mais le duc de Chaulnes l’obligea d’y renoncer ; il le décida même à faire rendre un arrêt qui défendait les attroupemens sous peine de mort. Quant à lui, il déclara perturbateur du repos public quiconque répandrait le bruit que le roi voulait établir la gabelle ou imposer les blés, « rien n’étant, disait-il, si contraire à ses intentions, qui étaient de maintenir la province dans ses privilèges. » Croyait-il donc tromper quelqu’un en passant sous silence les impôts mis, sans le concours des états, sur le tabac, le papier timbré et la vaisselle d’étain ? le piège était trop grossier, et les Bretons ne s’y laissèrent pas prendre ; de nouveaux soulèvemens répondirent au langage du duc de Chaulnes. « Toute la rage, écrivît alors, le duc à Colbert, est présentement contre les gentilshommes, dont ils ont reçu de mauvais traitemens. Il est certain que la noblesse a fort rudement traité les paysans ; ils s’en vengent présentement… De son côté, Mme de Sévigné, en ce moment à Paris, écrivait : « On dit qu’il y a cinq ou six cents bonnets bleus en Basse-Bretagne (il y avait les bonnets rouges sur d’autres points) qui auroient bon besoin d’être pendus pour leur apprendre à parler… » La noble marquise parlera différemment quand elle verra les choses, de près. Les historiens de la province nient cette exagération des campagnes contre la noblesse. D’après eux, les agens du pouvoir ne pensaient qu’à donner le change sur la cause réelle des mécontentemens. Un code paysan, proclamé par quelques paroisses de la Basse-Bretagne, portait cependant qu’à l’avenir la chasse serait défendue à tous du mois de mars à la mi-septembre, que les colombiers seraient rasés, et qu’il n’y aurait plus de moulins obligatoires. Ces prescriptions n’annoncent-elles pas de profondes et légitimes rancunes contre la noblesse, et faut-il s’étonner si le peuple, une fois soulevé, s’était porté contre elle à de coupables excès ? Le même code sommait les gentilshommes de retourner dans