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la bravade de leur entrée les trois compagnies voulurent prendre à l’hôtel de ville la place de la milice bourgeoise, celle-ci, bientôt renforcée par un grand nombre d’habitans s’y opposa, et elles durent aller coucher aux hôtels de Chaulnes et de Coëtlogon. Le lendemain, les faubourgs étant venus en aide aux bourgeois, l’hôtel de Chaulnes fut de bonne heure cerné par une ardente multitude. Bravé, hardie le duc méprisait le péril. Il parut sur le seuil de son hôtel, exposé, dit Mme de Sévigné, « à une grêle de pierres et d’injures ! » et, bien que couché en joue par deux cents fusils pendant que des milliers de voix criaient : Tue ! tue ! il ne recula pas. Les capitaines de la milice dissipèrent enfin la foule, et les habitans des faubourgs rentrèrent chez eux. De son côté, le duc de Chaulnes promit de rassembler le parlement à Dinan avant cinq semaines et de renvoyer à Nantes les trois compagnies, dont la présence avait failli mettre le feu aux foudres. Malgré ces concessions, l’agitation était toujours grande, et des prises d’armes eurent encore lieu. Un prisonnier fut délivré, et on menaça de nouveau d’incendier la ville pour la piller. Les écrivains bretons reprochent au duc de Chaulnes d’avoir manqué à son devoir en dissimulant au roi la situation des esprits et les causes légitimes de l’insurrection. Une disgrâce eût peut-être puni sa franchise. Était-ce une raison pour taire la vérité[1] ? Ancien ambassadeur à la cour de Rome, esprit fin, délié, égoïste, le duc de Chaulnes se garda bien de tenir un langage qui l’eût peut-être compromis. Il atténua la révolte de Rennes, se contentant d’incriminer les faubourgs, qu’il était d’avis de ruiner entièrement. Il reconnaissait bien que le remède était un peu violent, mais à son sens c’était l’unique, et il n’en trouvait même pas l’exécution difficile, pourvu qu’on lui donnât quelques troupes réglées. « Peu d’infanterie suffira, ajoutait-il, avec le régiment de la Couronne… » La guerre, qui durait toujours, ne permettant pas de lui procurer cette satisfaction, il fallut patienter. En attendant, il prépara le terrain. Les cinquantaines continuaient à garder les portes. Il leur prouva un jour que ce service était inutile, et qu’il suffisait d’un poste à l’hôtel de ville, comme avant les troubles. « Les bons bourgeois, dit un témoin oculaire, furent touchés de la sincérité de son éloquence, de ses protestations, et ils firent sans méfiance ce qu’il demandoit. »

Des faillites considérables vinrent ajouter au malaise de la Bretagne. Le duc de Chaulnes le voyait bien, mais il ne se souciait pas de demander à la cour des adoucissemens que les nécessités de la

  1. M. de La Borderie, la Révolte du papier timbré en 1673. Cet écrivain, parfaitement renseigné, a pu consulter un grand nombre de documens imprimés et de journaux manuscrits.