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l’intendant, est que la bourgeoisie n’est guère mieux intentionnée que le peuple. Les marchands qui trafiquent du tabac, et qui, en outre de la cessation de leur commerce, se voyoient chargés de beaucoup de marchandises de cette nature, que les fermiers refusoient d’acheter, et qu’il ne leur étoit pas permis de vendre aux particuliers, sont bien aises que le bruit continue pour continuer avec liberté le débit de leur tabac. Les autres négocians s’étoient laissé persuader que du tabac on vouloit passer aux autres marchandises. Les étrangers habitués, ici fomentent de leur côté le désordre, et je ne crois pas vous devoir taire, qu’il s’est tenu des discours très insolens sur l’ancienne domination des Anglois, et si le roi d’Angleterre vouloit profiter de ces dispositions et faire une descente en Guienne, où le parti des religionnaires est très fort, il donneroit dans la conjoncture présente beaucoup de peine. Jusqu’ici, monsieur, le parlement a fait en corps, et chaque, officier en particulier, tout ce qu’on pouvoit souhaiter du zèle de cette compagnie mais vous connaissez l’inconstance des Bordelois. » D’après l’intendant, Périgueux, Bergerac et d’autres villes du Périgord demandaient les mêmes exemptions que Bordeaux ; il terminait en disant que la nouvelle du mouvement qui venait d’éclater à Rennes avait produit dans Bordeaux « un très méchant effet. »

Ainsi, malgré les conseils de la prudence, l’agitation, loin de se calmer, gagnait du terrain, et de proche en proche passait aux provinces limitrophes. Le 27 avril, l’intendant écrivait à Colbert : « A Pau, on tire des coups de fusil aux environs de la maison où le bureau de papier timbré est établi. » Quelque temps après, le 10 juin, le bureau du papier timbré de Monségur fut brûlé par le peuple, une insurrection éclata pour le même objet à La Réole ; mais elle fut vigoureusement réprimée, et l’on y fit onze prisonniers. Revenue de sa première stupeur, l’autorité s’était raffermie, et l’heure des représailles avait sonné. Elles furent terribles. Un crocheteur et un porteur de chaises avaient été saisis, dans les rues de Bordeaux, où ils excitaient du désordre. Ils furent condamnés aux galères au grand étonnement de la population, qui n’avait pas pris leurs actes au sérieux, et le premier président écrivit à Golbert : « Il y avoit bien de quoi faire moins, mais non de quoi faire plus… » Pendant que l’affaire- de La Réole suivait son cours, l’intendant reçut d’un Bordelais du quartier Saint-Michel une lettre anonyme où on l’invitait, s’il ne voulait s’en repentir, « à ne point fâcher le pauvre peuple de La Réole, et à ne pas le traiter comme les misérables catholiques de Bergerac, pour de l’argent et pour favoriser les huguenots. » — « Si vous êtes sage, ajoutait-on, ménagez bien les intérêts du roi par quelque autre voie plus honnête que celle