Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crire, il fut obligé de les laisser au Sinaï, en les recommandant aux soins des religieux. Il se promettait bien de revenir, et comptait sur des jours plus prospères où ni le temps ni l’argent ne lui feraient défaut ; mais neuf années s’écoulèrent sans que M. Tischendorf pût reprendre la route de la Palestine. Quand il retourna en 1853 au couvent de Sainte-Catherine, les précieux fragmens avaient disparu ; quelque autre savant européen avait-il mis la main sur la proie ? Cela paraissait probable, et le voyageur s’était consolé en pensant que la suite du Codex Friderico-Augustanus ne tarderait pas sans doute à sortir des presses de Berlin ou d’Oxford. Enfin en 1859 nouvelles recherches et nouvelles déceptions. Le voyageur, qui ne pouvait prolonger son séjour au couvent de Sainte-Catherine, avait déjà fait prévenir ses Bédouins, campés aux environs avec leurs chameaux, de se tenir prêts à repartir le 7 mai ; il avait d’autres couvens à visiter, d’autres bibliothèques à fouiller de fond en comble, et le temps approchait où l’escadre russe allait débarquer le grand-duc Constantin dans un des ports de la terre sainte. Le 4 mai, après une promenade sur l’une des cimes voisines en compagnie de l’économe du couvent, le religieux le fait entrer dans sa cellule pour lui offrir quelques rafraîchissemens. On causait des travaux du voyageur allemand, surtout de ses éditions du texte grec de la Bible : « Et moi aussi, dit l’économe, j’ai là une Bible des Septante. » Et il alla prendre dans un coin de la chambre un manuscrit enveloppé d’un drap noir. M. Tischendorf soulève l’enveloppe et reconnaît les précieuses reliques trouvées par lui en 1844 dans une corbeille de rebuts. Il les parcourt, les dévore des yeux. Ah ! c’était bien autre chose que des parties détachées de l’Ancien Testament ; voici le commencement et la fin des Évangiles, voici même l’Epître de Barnabé. Il demande aussitôt et obtient la permission d’emporter le manuscrit dans sa cellule afin de l’examiner à loisir.


« Quand je fus seul dans ma chambre, je m’abandonnai à l’élan de joie et d’enthousiasme que me causait cette découverte. Le Seigneur, je le savais, le Seigneur venait de remettre en mes mains un trésor inestimable, un document de l’importance la plus haute pour l’église et pour la science. Mes espérances les plus hardies étaient de beaucoup dépassées. Au milieu de l’émotion profonde que me faisait ressentir cet événement providentiel, je ne pus me défendre de cette pensée : « à côté de l’Épitre de Barnabé, ne pourrais-je trouver aussi le texte du Pasteur ? » Je rougissais déjà de ce mouvement d’ingratitude, de cette demande nouvelle en présence d’une telle grâce, quand mes yeux s’arrêtèrent involontairement sur une page presque effacée. Je déchiffrai le titre et demeurai frappé de stupeur. Voici ce que j’avais lu : le Pasteur. Comment décrire ma joie ? J’examinai alors