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ces cimes, on dirait que le passé, s’y élance, s’y enfonce dans le présent avec la force irrésistible des grands phénomènes cosmiques, et apparaît avec sa sainteté, devant qui tout s’efface. C’est donc ici, s’écrie-t-on involontairement, c’est donc ici que le Seigneur a proclamé sa loi au milieu des coups de foudre et des éclairs ; il semble que l’inflexible « tu feras, tu ne feras point, » soit toujours inscrit sur ces rochers par une griffe d’airain. Des mains pieuses ont bâti deux chapelles sur les sommets du Sinaï, une chapelle chrétienne ; une chapelle mahométane, dont il reste encore quelques ruines ; mais la piété n’a pas besoin de ces secours : la montagne elle-même est un autel, un sanctuaire impérissable élevé par la droite de l’Éternel. N’a-t-on pas vu pendant des milliers d’années des pèlerins sans nombre, venus de toutes les zones, s’arrêter ici, plongés dans la contemplation et la prière ? N’a-t-on pas vu les juifs, les chrétiens, les mahométans, malgré les barrières qui les séparent, trouver ici un lieu propice pour une même piété ? Chose extraordinaire ! cette parole de la loi, avec ses avertissemens et ses menaces terribles, de même qu’elle a retenti pour tous, pour tous aussi elle a été intelligible, à tous elle est demeurée chère, tandis que la parole de la promesse joyeuse, céleste, la parole de la consommation libératrice est devenue pour beaucoup une occasion de méprises pernicieuses et une cause de division pour les peuples de la terre. »


Ces derniers mots, qu’un adversaire du christianisme pourrait tourner contre la religion de Jésus, ne sont ici qu’une application des croyances de l’orthodoxie protestante. C’est une allusion calviniste aux paroles célèbres : « Beaucoup d’appelés et peu d’élus. » C’est un souvenir de cette formule si peu chrétienne en apparence, si pleine en réalité de l’esprit de l’Évangile, puisqu’elle exprime en deux mots le réveil de la conscience religieuse et la défense qui lui est faite de jamais se rendormir : « je suis venu apporter, non la paix, mais la guerre. »

Au retour du Sinaï, M. Tischendorf commence ses fouilles nouvelles dans la bibliothèque du couvent de Sainte-Catherine. L’heure décisive approche. Va-t-il trouver ce que la voix mystérieuse lui promet ? Va-t-il réparer la faute qu’il a commise quinze années auparavant ? Dans son premier séjour au couvent du Sinaï en 1844, il avait mis la main sur une corbeille pleine de vieux papiers, de parchemins rongés par le temps, et il avait découvert parmi ces chiffons plusieurs fragmens d’un manuscrit de la Bible qu’il reconnut bientôt pour l’un des plus anciens débris de la littérature chrétienne. Il y a des signes qui ne peuvent tromper un œil exercé : M. Tischendorf s’était empressé d’acquérir un de ces fragmens, c’est celui qui est déposé aujourd’hui à la bibliothèque de Leipzig, et qui porte le nom du roi de Saxe, le Codex Friderico-Augtistanus. Quant aux autres, ne pouvant ni en donner le prix ni les trans-