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Les nègres d’Afrique occupent la moyenne entre les Européens et les Australiens. Or n’est-ce pas là précisément la gradation du développement intellectuel dans les différentes races ? La race blanche ou caucasique est supérieure à la race mongole ; au moins elle le croit, et elle est en train de le lui prouver. La race mongolique est supérieure à la race noire, et dans celle-ci l’intelligence du nègre d’Amérique ou d’Afrique est encore supérieure à celle des Australiens. Outre ces faits généraux, M. Broca en cite deux autres qu’il emprunte aux recherches personnelles de Gratiolet. Celui-ci a découvert que les sutures du crâne[1] ne se soudent que très tard dans les races supérieures, ce qui permet au crâne de grandir, et à l’encéphale de s’accroître avec lui. Chez les races inférieures au contraire, la soudure des os du crâne n’en permet pas l’expansion, et le cerveau, enfermé comme une ville dans ses murailles, ne peut pas s’agrandir. Un second fait non moins curieux, c’est que dans les races inférieures les sutures antérieures du crâne se ferment avant les postérieures, d’où il suit que le développement des lobes antérieurs du cerveau s’arrête plus tôt, fait très favorable à l’hypothèse qui place l’intelligence dans la partie frontale du cerveau ; mais ceci touche à la question des localisations, que nous ne voulons pas entamer dans cette étude.

Gratiolet accepte tous les faits signalés par M. Broca, mais il les interprète différemment. Le développement du cerveau est un phénomène tout dynamique et le signe d’une vitalité plus grande : une petite tête dont le cerveau s’accroît encore est dans une condition meilleure pour l’éducation de l’intelligence qu’une tête plus grande dont le développement est arrêté. En définitive, Gratiolet résume sa pensée en ces termes significatifs : « Au-dessus du poids nous mettons la forme, au-dessus de la forme nous mettons l’énergie vitale, la puissance intrinsèque du cerveau. » M. Lélut exprime la même idée en disant que ce qui importe dans le cerveau, c’est moins la quantité que la qualité.

D’après cette manière de voir, on doit préjuger que Gratiolet était très opposé à la méthode qui tendrait à mesurer l’intelligence des hommes, et surtout des hommes supérieurs, par le poids de leur cerveau. « Quel dommage, dit-il ironiquement, que la méthode des pesées soit si incertaine ! Nous aurions des intelligences de 1,000 grammes, de 1,500 grammes, de 1,800 grammes ! Mais ce n’est pas tout à fait aussi simple. » C’est ici surtout que le débat entre les deux contradicteurs devient très pressant. Quelques faits

  1. Le crâne est composé de trois pièces distinctes ; les lignes qui les unissent sont appelées sutures. A un certain âge, ces pièces se soudent et n’en forment plus qu’une : c’est ce phénomène qui a lieu plus ou moins tard, selon les races et les individus,