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considérable que l’homme, ait un cerveau beaucoup plus gros ? Ce n’est donc pas le poids absolu du cerveau qu’il faut considérer, mais le poids relatif à la masse du corps. D’après cette nouvelle mesure, on dira que l’animal qui a le plus de cerveau comparativement à la masse de son corps aura le plus d’intelligence. Cette méthode, employée, je crois, pour la première fois par Haller, a été un moment très à la mode ; Andrieux y fait allusion dans un de ses jolis contes. « Le cerveau d’un âne, dit-il, ne fait que la 250e partie de son corps, tandis que celui de la souris des champs en fait la 31e : aussi une souris a-t-elle une petite mine assez spirituelle. »

Quelque rationnelle que paraisse cette méthode, elle me semble soulever quelques objections. Je comprends que l’on compare un organe au reste du corps lorsque les fonctions de cet organe ont précisément rapport au corps tout entier ; par exemple, le système musculaire ayant pour fonction de mouvoir le corps, si l’on veut en mesurer la force, il faut évidemment comparer le poids des muscles au poids du corps, car c’est dans cette relation même que consiste leur fonction. Mais quelle relation y a-t-il entre la taille corporelle et l’intelligence ? Deux animaux ayant, par hypothèse, une même masse de cerveau, pourquoi cette masse serait-elle plus propre aux fonctions intellectuelles parce que l’animal serait plus petit ? En quoi cette différence de taille, qui n’a rien à voir avec le cerveau, pourrait-elle augmenter ou diminuer les fonctions de celui-ci ? S’il en était ainsi, un individu dont l’embonpoint varierait (le poids du cerveau restant le même) serait donc plus ou moins intelligent selon qu’il serait plus ou moins gros, et l’on deviendrait plus spirituel à mesure que l’on maigrirait davantage.

A la vérité, on donne de cette théorie du poids relatif une raison qui n’est pas méprisable : c’est que l’encéphale en général, même les hémisphères cérébraux en particulier, ne sont pas seulement des organes d’intelligence, et qu’ils sont aussi en rapport avec les sensations, avec les mouvemens. Il suit de là qu’entre deux cerveaux égaux, celui qui habitera le plus grand corps, ayant plus à faire pour le mouvoir, aura moins de loisir en quelque sorte pour les fonctions intellectuelles, ou bien, si l’on admet quelque localisation de fonctions, une plus grande partie de la masse étant employée au gouvernement de la vie matérielle, il en reste moins pour l’intelligence. Je comprends et j’apprécie la valeur de cette considération ; mais on voit aussi combien elle jette d’obscurité et d’incertitude sur tout le débat, car tant qu’on n’aura pas spécifié quelle est la partie du cerveau qui exerce les fonctions motrices et sensitives, on ne peut pas s’assurer que cette partie soit plus ou moins grande dans